Parlor


Interview réalisée par mail par Virgile au mois de novembre 2021 avec Guillaume (batterie) et Boris (guitare).


Bonjour et merci pour l'interview.
Pouvez-vous vous présenter pour celles et ceux qui ne connaissent pas le groupe ?

Guillaume Quincy : Salut Nawak Posse ! Merci de nous recevoir dans vos colonnes ! On est PARLOR, un groupe de Post-Hardcore à tendance Noise formé en 2016 à Paris. Après avoir sorti un EP “ Zamizdat ” en 2017 et un album “ Soflty ” en 2019, aux relents très Hardcore Chaotique, on vient de sortir notre nouvel EP “ Comments ” chez Source Atone Records, on délaisse un peu moins le côté chaotique désormais pour s’aventurer sur des territoires plus “ post ”.
Boris Patchinsky : Merci Nawak Posse de nous donner l’occasion de nous exprimer dans vos colonnes ! Concernant le line-up du groupe, Guillaume Quincy tabasse sa drum, Arthur Leparc est notre hurleur en chef, et Yann Desti et moi tenons respectivement la guitare et la basse. Yann et moi jouons également dans le projet post-metal instrumental SaaR, signé sur le même label, donc on se connaît depuis pas mal d’années et PARLOR nous a permis de nous aventurer vers des territoires musicaux plus barrés… Au départ, des groupes comme BREACH, UNSANE, CONVERGE ou BOTCH étaient des influences assez présentes, bien qu’on s’en éloigne sensiblement sur le nouvel EP.

Comment s'est faite la signature chez Source Atone Records ?
Guillaume : Très naturellement. Source Atone a été l’un des premiers labels qu’on a contacté et ils se sont montrés enthousiastes très rapidement… On a signé assez vite !
Ça a été un gros pas en avant pour le groupe, de rejoindre une écurie qui compte des groupes excellents comme JUNON, NATURE MORTE ou encore NÉFASTES, on hallucine toujours un peu de l’opportunité qui nous a été donnée... Chris et Arnaud font un travail formidable et on leur est énormément reconnaissants.
Boris : Ce sont des chics types en effet. Guillaume leur a envoyé l’EP, ils nous ont très vite répondu qu’ils kiffaient le son, et nous ont signé dans la foulée. Tout s’est fait quasi instantanément et sans aucune tension. Ils ont vu en nous, à tort ou à raison, une esthétique ou une démarche différente, qui semblait matcher avec la diversité qu’ils souhaitaient insuffler au roster de Source Atone. Quoi qu’il en soit, ils sont hyper impliqués sur la sortie de l’EP, et nous encouragent à fond sur l’album à venir.

Cet EP est une critique des réseaux sociaux et de ses dérives. Récemment, on a eu le droit au fameux #anti2010.
Guillaume : En effet, “ Comments ” traite de nos rapports pernicieux, biaisés à ces réseaux sociaux. C’est simplement un constat, du monde numérique dans lequel on vit désormais tous, loin de nous l’idée de vouloir dénoncer ou se porter en juge de quoi que ce soit. C’est juste fascinant de voir des outils technologiques incroyables qui permettent de partager l'information quasiment en temps réel mais qui nous aliènent au final et nous rendent étranger à nous-mêmes…
Je pense hélas que ça ne fait pas ressortir le meilleur de l’humain. Facebook qui est là pour stocker tous nos souvenirs, parfois douloureux, nous remettre dans une mélancolie permanente, le cyber-harcèlement, le revenge-porn, comme le #anti 2010 dont tu parles…, ce sont des phénomènes assez récents mais qui sont d’une intensité - pour ne pas dire malveillance - assez impressionnante.
Boris : On dresse surtout un tableau assez sombre des usages délétères provoqués par la culture actuelle des réseaux sociaux : les influenceurs obnubilés par leurs likes, les jeux de pouvoir biaisés qu’ils induisent, toute l’organisation d’une nouvelle forme de servitude volontaire à échelle mondiale. “ Comments ” est une sorte de satire de tous les excès de cette culture du clic ; plutôt que de se cantonner à la déplorer, on préfère détourner ses codes pour la tourner en ridicule le temps d’un EP…

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Justement, quel est votre usage des réseaux sociaux ?
Guillaume : En tant que groupe, on est forcés de se servir des réseaux sociaux pour faire notre promo, échanger avec notre public, donc en soi c’est carrément un paradoxe ! Je pense que tout dépend de l’utilisation qui en est faite, c’est évident que c’est beaucoup plus simple de se servir des réseaux pour promouvoir un concert plutôt que de poireauter devant des salles pour flyer, comme à l’ancienne, c’est indéniable. On essaye de s’en servir avec un peu de second degré, en tournant en dérision ces outils.
Boris : Exactement, on n’est pas allergiques non plus à un minimum de communication, c’est la meilleure face des réseaux sociaux. Quand elle permet de défendre un projet et de fédérer une communauté autour de valeurs communes, c’est un outil formidable. Bien qu’on prenne toujours un malin plaisir, comme dit Guillaume, à en détourner les codes d’une manière assez ironique dans notre utilisation pour le groupe... Ce qui ne m’empêche pas de publier de temps à autre une story de mon chat sur mon compte perso, ce pour quoi Internet a été inventé… Personne n’est parfait !

Quels sont pour vous les meilleurs et les pires côtés du net ?
Guillaume : Tout ce que tu peux apprendre grâce à cet outil est assez fou, c’est un terrain de jeu assez vaste pour s’ouvrir l’esprit et approfondir ses connaissances sur à peu près tous les sujets possibles et imaginables.
Bon j’aime bien les vidéos débiles aussi très clairement, et je m’y perds pas mal de fois ! Je pense que l’aspect le plus pervers du net est son aspect chronophage, mais aussi addictif, tout le monde se sent en stress, comme s’il ratait quelque chose avec une simple journée sans Internet.
Boris : Les meilleurs côtés du net sont sans doute à chercher du côté des initiatives collectives basées sur la collaboration des êtres humains pour faire avancer la connaissance et l’éducation; un Wikipédia en est le parfait exemple, ou, d’une manière plus légère, un Discogs dans le domaine musical…
Les pires côtés, la spirale infernale des feeds Fb et Insta, cet aspect chronophage et déshumanisant dont parlait Guillaume, les anonymes qui se vengent de manière imaginaire de leur vies médiocres en s’entre-tuant par commentaires interposés avec d’autres anonymes frustrés, chacun bien à l’abri derrière son clavier… Tout cela paraît assez pathétique, et prêtait vraiment à sourire si les conséquences dans la vie réelle n’étaient pas si prégnantes.

Comment imaginez-vous les réseaux sociaux du futur ?
Guillaume : Pas bien brillant ! À l’image du “ Metaverse ” que veut créer Zuckerberg, je pense que nos interactions sociales vont de plus en plus se résumer à des interactions numériques, immatérielles, derrière pseudo et avatars au détriment du contact humain, d’un truc un peu plus vrai.
Boris : Idem, je reste pour le moment assez circonspect quant à la positivité qu’un “ Meta ” univers serait censé apporter à nos vies, déjà assez “ numérisées ” à l’heure actuelle. Si des gens sont prêts à mettre le prix fort pour s’acheter une veste Gucci qui n’aura d’existence que dans leurs stories, ou suivre un concert d’Ariana Grande sur Fortnite en s’imaginant avoir réellement vécu une expérience intense de musique live, alors je suis assez pessimiste sur l’avenir des rapports humains à l’aune de l’évolution du meta-verse ces prochaines années.

Les réseaux sociaux, les gens en quête de like sur Instagram, la télé, le streaming…, est-ce pour vous la nouvelle pervitine ?
Guillaume : C’est exactement ça ! La sérotonine vue comme une forme de boost pour aller au front, bosser, se divertir, pas trop réfléchir… “ Pervitin “ est en effet une allégorie de tout ça.
Boris : Panem et circenses, encore et toujours.

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Comment avez-vous composé cet EP et/ou dans quel état d'esprit étiez-vous ?
Guillaume : Le premier confinement, qui a signé l’arrêt de mort de notre tournée pour notre précédent album “ Softly ”, nous a permis de mettre les choses à plat et de se demander ce qu’on voulait pour la suite.
On avait déjà un ou deux morceaux prêts et on s’est dit qu’on pourrait se servir de ce temps pour composer, bosser et sortir un format bien “ in your face ”, assez court, en EP. Avec du recul, on a eu de la chance d’un point de vue timing, on a pris le temps nécessaire sans se mettre la pression et au final la sortie de “ Comments ” coïncide avec la reprise des concerts, on est super chanceux !

Comment s'est passée votre collaboration avec Francis Caste ? Que vous a-t-il apporté ?
Guillaume : Ça s’est passé incroyablement bien !
On répète dans ses studios à Belleville à Paris, sous son studio d’enregistrement, depuis des années. Ça fait des années qu’on se croise et qu’on discute et on avait une vraie volonté d’avoir un son massif, imposant pour cette sortie. On ne voulait pas non plus aller chez Francis simplement pour avoir le tampon “ enregistré chez Francis Caste ”, mais pour avoir un son qui nous soit propre. Francis nous a accompagnés en résidence quelques mois avant l’enregistrement pour nous aider à bosser sur les pré-prods, nous a donné énormément de conseils, guidé dans certains choix artistiques… Bref au-delà de la casquette de producteur il a aussi endossé celle de réalisateur. Il nous a vraiment permis de trouver ce son massif, cette lourdeur qu’on voulait pour “ Comments ”.

Je trouve que cet EP prend plus le temps de poser l'ambiance par rapport à “ Softly “ à l'image de “ Q&A “.
Guillaume : “ Q&A “ agit en effet comme une forme de respiration, mais aussi en tant qu’annonce de “ Pervitin ” qui la suit, avec sa fin planante et ses envolées… Sur notre album précédent, on avait aussi voulu créer une cassure, un morceau plus posé avec “ Opening night ” (inspiré du film de Cassavetes), pour se reposer un peu avant la charge finale. C’est un peu le cas sur “ Comments ” aussi.

Votre musique me fait penser à une course poursuite entre bib bib et le coyote par moment, et notamment sur le titre “ Comments “.
Guillaume : J’aime beaucoup la comparaison ! Le côté ternaire du morceau “ Comments “ donne en effet un aspect course poursuite !
Boris : Je n’y avais jamais pensé, mais c’est vrai qu’Arthur a ses petits moments Serj-Tankianesques sur ce morceau ! Le côté cartoon parvient bien à caractériser certains aspects de PARLOR oui… On aime bien les ruptures de rythme, les accélérations soudaines et les chausse-trapes à la Itchy et Scratchy.

Avez-vous une anecdote studio ?
Guillaume : On a dépensé une somme folle en frais d’avocat (corse, évidemment) pour ne rien pouvoir dévoiler sur notre enregistrement ni sur Francis Caste. À part qu’il est allergique à la confiture de groseille.
Boris : On a signé une clause de non divulgation d’anecdotes avec le sang d’Arthur, toute entorse au règlement nous expose à un remix de l’EP par Francis avec le son de snare de “ St-Anger “.

Le clip “ Instacat “ est complètement wtf/satirique avec le flow du chat, la fausse générosité…, tout le monde a l'air de vivre à travers son portable à tout filmer pour alimenter sa story… Pourquoi avoir mis Tibo in Shape dans l'intro ?
Guillaume : Le sample est tiré d’une vidéo pour le ministère de la Justice, grosso modo une pub maquillée pour devenir maton, où Tibo In Shape (influencer muscu suivi par plus de 8 millions de personnes sur Youtube) serre la pince de la garde des sceaux de l’époque, Nicole Belloubet. Donc tu as une publicité qui ne montre pas son nom, pour toucher un public large et jeune, sous couvert de “ fun ” qui s’appuie sur la popularité d’un Youtuber qui a la côte chez les jeunes. On a rien contre Tibo In Shape en particulier mais pour moi cette situation assez cocasse voir ridicule illustre bien le propos d’ “ Instacat “ : mettre toutes ses valeurs de côté, pour gagner des vues, des likes, et idéalement un peu de pognon. Et l’extrait est d’une gêne incroyable, je vous invite à aller vérifier par vous-même.

Votre groupe est bien fun dans ces clips et sur les photos, mais votre musique est assez sombre. Est-ce pour vous une manière d'extérioriser ?
Guillaume : On retrouve de l’humour dans certains textes aussi avec certains noms évocateurs comme “ Jean-Métal ”, " Honey Badger ” ou “ Pascal ”.
On a jamais eu la volonté de se prendre complètement au sérieux, on ne veut pas être un groupe “ blague ” non plus, mais je pense que casser un peu le côté sacro-saint de faire les gros méchants dans les scène Métal et Hardcore ne fait pas de mal. La musique se crée de manière assez naturelle pour évacuer des sentiments très différents mais c’est exactement la même chose avec notre approche de l’imagerie: ça se fait naturellement, comme quatre potes un peu débiles qui font des vannes un peu nulles !

Avez-vous déjà un projet d'album ?
Guillaume : L’année 2022 s’annonce en effet chargée pour nous avec un album qu’on enregistrera, et que l’on espère sortir pour la fin de l’année prochaine, toujours chez Source Atone Records.

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Comment s'est passée la reprise des lives avec le retour du public ?
Guillaume : Super bien !
On a la chance de pouvoir jouer pour défendre “ Comments ” sur scène, ce qui est incroyable ! On a pu faire un super concert au Ferailleur de Nantes, une belle date bien bagarre au klub à Paris, là on vient de faire une date à Lille la semaine dernière avec NATURE MORTE et SUNSTARE, la soirée était folle ! On voit de plus en plus de monde à nos concerts, ça nous fait chaud au coeur, t’as même pas idée ! Plein de gens viennent nous voir au merch pour discuter, échanger, on a des super retours ! En tous cas, on est ravis de pouvoir rejouer après tout ce temps.
On sera à Lyon le 15 et à Fontaine l'Evêque en Belgique le 28 janvier, on devrait annoncer une ou deux belles dates sur Paris bientôt, et on espère pouvoir jouer le plus possible partout en 2022 !

Avez-vous une tournée de prévue ?
Guillaume : Pas encore…, mais on bosse dessus et on adorerait pouvoir tourner pour “ Comments “ !

Avez-vous pensé à faire un album live à l'arrache avec le 6-pistes pour enregistrer comme pour “ Zamizdat “ ? Moi je serais preneur :)
Guillaume : Pour ne rien te cacher, on a fait un concert devant une vingtaine de potes dans un studio que tient un pote pendant le confinement. On a pu mixer tout ça et je dois dire qu’on a un album live qui sonne plutôt chanmax.
Pour le coup, ce n’est pas à l’arrache comme sur “ Zamizdat ”, mais l’énergie du live est bel et bien là. Il faut qu’on discute entre nous, on sait pas du tout ce qu’on va faire avec ça ! Et puis qui sait, ce sera peut-être un parti pris pour un nouvel album dans le futur ?
Boris : Malheureusement ce 6-pistes n’existe même plus ! Je l’avais conservé chez moi toute une soirée grâce à mon taf en radio, après une interview nocturne de Christophe... Et comme on répétait le lendemain matin avec les gars, on a sorti quelques micros et enregistré la démo en moins de 2 heures dans notre studio de répet sur ce 6-pistes, avant de le rendre définitivement… Le tout mixé le soir même sur Garage Band, pour un rendu Lo-Fi as fuck… Bon, cela dit on aura sûrement l’occasion de réitérer l’expérience un jour, Quincy et moi sommes très fans des prods un peu sales… Et Francis ne sera peut-être pas toujours dispo pour nous sortir une prod de cainri en studio !

Que seriez-vous si vous étiez un tatouage ?
Guillaume : Un gros Fudo Myoo bien vénère de Horiyoshi III !
Boris : Une méga back-piece “ Battle Royal ” de Bert Grimm avec serpent, aigle et dragon en furie sans doute… Un truc bien fun et un peu naïf, ça nous ressemble bien finalement.

La question que vous auriez aimé que je vous pose ?
Guillaume : Quelle est ma couleur préférée ?
Boris : “ Black Album “ ou “ St-Anger ” ?
Et la réponse ?
Guillaume : BOLT THROWER.
Boris : “ Black album “ avec le son de snare de “ St-Anger “.

Merci pour l'interview, je vous laisse le mot de la fin pour les lecteurs...
Guillaume : Merci beaucoup pour ton temps Nawak Posse, et merci à tes lecteurs d’avoir pris du temps pour nous lire ! On espère vous voir en concert, n’hésitez pas à faire vivre la scène en allant en concert, chopant des vinyles, en organisant des dates, bref à donner de votre énergie pour tout un milieu qui a bien besoin de notre aide à tous après deux années un peu compliquées !
Boris : Merci Nawak, prenez soin de vous et bougez-vous aux concerts tant qu’il y en a !