Interview réalisée par Djaycee au mois de juin 2025 avec Reuno.


Salut Reuno, merci pour ton temps. Vous êtes de retour avec un nouvel album marquant. Comment résumerais-tu l'énergie ou le message principal que vous avez voulu transmettre avec ce disque ?
Avec LOFO, quand on commence à travailler sur la composition d'un nouvel album, généralement on ne se pose pas trop de questions. On expose aux copains ce qu'on a en tête et si ça emballe tout le monde, on voit si on peut en faire quelque chose ensemble. On pense aussi que plus un groupe dure plus il doit justifier d'un réel contenu à chaque nouvel album. Si c'est juste pour réchauffer les vieilles mêmes recettes, ce n'est pas très intéressant. Alors pour celui-ci sans trop se prendre le chou, parce que la phase de composition est de plus en plus fluide entre nous, on avait quand même la volonté de sortir quelque chose de consistant avec un disque assez direct, qui donne de l'envie de se remuer.

Le titre " La Machette " a marqué les esprits dès sa sortie. Pourquoi avoir choisi ce morceau comme premier extrait ?
Le choix s'est fait avec notre label bien-aimé At(H)ome, ils trouvaient que ce titre percutait bien et on était assez d'accord là-dessus. Après deux ans d'absence c'était une façon de montrer qu'on ne revenait pas pour acheter du terrain.
Après ce sont les hasards du calendrier électoral français qui ont donné un retentissement encore plus marquant au clip. On était assez content que Macron décide de dissoudre l'Assemblée Nationale pour jouer le jeu de notre promo. Merci Manu !

L'album semble à la fois très LOFO et en même temps différent. Qu'est-ce qui a changé ou évolué dans votre façon d'écrire ou composer aujourd'hui ?
La composition est un moment de plus en plus agréable à vivre et à partager. Il faut dire que cela fait longtemps que la formation du groupe n'a pas changé et on se sent très bien comme ça, chacun connaît sa place et malgré nos personnalités différentes le dialogue est très présent entre nous et la confiance aussi. Cela facilite vraiment les choses. J'ai de moins en moins de mal à montrer à mes potes les bribes d'un texte naissant.

Lofofora

Vous avez collaboré avec Francis Caste pour le mix et le mastering. Qu'est-ce qu'il a apporté selon toi à votre son ?
Lorsqu'on a décidé de travailler à nouveau avec Jean Marc Pinaud alias Mazarin pour cet album, c'est lui qui nous a proposé de faire mixer par Francis, pour disait-il : " emmener l'histoire un peu plus loin ". On a tout de suite trouvé que c'était une excellente idée, tout comme Francis qui a été ravi de pouvoir travailler sur ce disque. On ne lui a donné que très peu d'indications en lui faisant entièrement confiance. On voulait juste un son pas trop compressé avec une batterie qui sonne naturelle. Dès les premiers essais, il avait trouvé la bonne direction et a surtout su donner une unité au disque malgré les couleurs différentes des morceaux.

Tu as assuré toi-même l'artwork de l'album, dans un esprit très punk, collages et photocopies. Pourquoi ce choix visuel ?
Dans les tous premiers visuels de LOFOFORA, pour nos premiers concerts ou nos premières démos c'était souvent un mélange de dessins et de découpages parce qu'on vient de là, de cette école DIY où il n'y avait pas de Photoshop, juste une photocopieuse à squatter. J'ai toujours aimé ce genre de visuel un peu chaotique qu'il y avait sur les flyers des concerts punk et que l'on retrouve aujourd'hui avec plaisir sur des pochettes de groupe comme SPY ou TEENAGE MORTGAGE.

Il y a un vrai équilibre entre titres très rentre-dedans et d'autres plus introspectifs comme " Ouvrez les esprits ". Comment construisez-vous cette dynamique ?
Je crois que cet équilibre là on le ressent et on le créer de manière très collective mais plutôt inconsciente.

Sur le dernier titre « Laisse pas faire », on sent une urgence particulière. Est-ce un morceau né dans l'instant, comme un coup de sang en studio ?
C'est à peu près ça, j'ai écrit le texte et composé la trame sur mon ordi quelques jours avant de rentrer en studio. On n’a pas eu vraiment le temps de le travailler avant que commence l'enregistrement mais on a pu prendre une après-midi pour travailler dessus en studio pour finaliser la compo et on l'a enregistrer le lendemain dans une version plus live pour garder cette spontanéité.

Depuis " Vanités ", tu as fait pas mal de détours avec MUDWEISER, MADAME ROBERT ou LES TAMBOURS DU BRONX. Ces projets extérieurs nourrissent-ils encore plus LOFO ?
Oui c'est évident j'ai réussi à assumer beaucoup de choses dans ces différents projets. Je me considère un petit peu plus comme un chanteur aujourd'hui, moins besoin de me cacher derrière une voix parfois trop saturée. Pour le processus d'écriture aussi, le fait d'avoir écrit en anglais me pousse à commencer par imaginer, en faisant du yaourt, le son des mots et de la voix qui servira le mieux la composition.

Vous avez une vraie longévité dans la scène française. Qu'est-ce qui vous motive encore à vous réunir pour faire du LOFOFORA ?
Le pied qu'on prend toujours à se retrouver et à partir sur la route pour voir des gens qui ont encore envie de nous voir, à qui on arrive encore à donner la banane et avec lesquels on arrive encore à partager des moments intenses. On est complètement accro à ça et je crois que tant qu'on aura la santé et qu'on ne sera pas trop ridicule malgré notre vieil âge, on continuera.

Vous tournez régulièrement sur des festivals à taille humaine. Qu'est-ce que vous aimez particulièrement dans ce type d'événements comme le Gros Tonneau ? D'ailleurs ce n'est pas la première fois que vous jouez en terre auvergnate. L'accueil y est bon ?
Notre façon de faire avec LOFO, c'est plutôt à la bonne franquette. Tu vois, les mégastructures avec écrans à LED et feux d'artifice en mode tape-à-l'œil, c'est pas trop notre came, on préfère avoir l'impression de passer un moment avec des gens passionnés et motivés qui sont là pour faire vivre leur coin, qui t'accueillent comme à la maison, qui sont aussi soucieux de bien recevoir le public sans les prendre pour des pigeons. Le Gros Tonneau représente exactement ça, on leur souhaite de de pouvoir continuer longtemps.

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On parle souvent d'engagement chez LOFO, mais il y a aussi une vraie musicalité, des textures, des arrangements. C'est important d'allier les deux ?
Ce n'est pas le genre de truc auquel on réfléchit ça se passe comme ça mais, à vrai dire, je crois que ce mélange là c'est un peu aussi ce qui fait notre personnalité.

Certains morceaux comme " Maladie Mortelle " sont très frontaux. Est-ce que tu ressens parfois une forme de lassitude à devoir encore dénoncer les mêmes choses ? " Macho Blues " notamment résonne en 2025 comme il résonnait à sa sortie... Malheureusement.
Encore une fois, je n'ai jamais cru changer le monde avec mes chansons mais je sais que notamment celles-ci ne sont pas inutiles. Même si l'on sait déjà les choses et que l'on a l'impression qu'elles n'évoluent pas vraiment ou pas assez vite, c'est essentiel de parler, de s'encourager pour ne pas baisser les bras. Dénoncer pour dénoncer, ce n'est pas vraiment intéressant. Quand j'aborde certains sujets sensibles ma volonté d'avant tout est de faire réagir ou du moins réfléchir une minute et d'aider à donner un peu de force ou d'élan à celles et ceux qui vivent ces situations.

On a toujours senti chez vous une certaine chaleur humaine malgré la colère dans vos textes. Comment cultiver cette humanité sur scène comme sur disque ?
Je vais avoir l'impression de me répéter mais ça aussi c'est notre façon d'être, on ne calcule pas on est comme ça et on imagine pas être autrement.

LOFOFORA est un pilier pour beaucoup de jeunes groupes engagés. Comment regardez-vous la nouvelle scène rock/métal en France ?
Avec beaucoup d'intérêt, depuis nos débuts la scène a bien évolué. Les groupes sont de moins en moins caricaturaux et cherchent de plus en plus à développer une identité propre. Je ne suis pas tellement client de la scène modern métal qui pour moi doit beaucoup à l'attitude mais parmi les gens qui ont des choses à raconter, certains me touchent particulièrement. Je pense à des groupes comme BIRDS IN ROW, STINKY, TRAIN FANTOME, 111, FANGE, RAVAGE CLUB, VERDUN, MADAM et j'en oublie, qui dans des styles très différents montrent une détermination libératrice et très communicative. Après tout c'est ça le rock ! Et la féminisation de la scène est le signe qu'il n'est pas mort du tout.

Les TWOMINUTESHATE qui officient dans un style un peu éloigné du votre semble vous avoir kiffé au vu de leurs story à Artonne. C'est important de partager au-delà de la scène métal ?
Oui, on a été surpris de voir ça, on n’avait pas beaucoup parlé avec ce groupe et on a aussi bien apprécié leur performance. C'est une des forces et des grandes qualités du Gros Tonneau que de savoir proposer des découvertes qui semblent mettre quasi tout le monde d'accord malgré des esthétiques éloignées.

Une anecdote particulière sur un festival ?
Il n'y en a pas une qui me vient là en particulier mais les festivals c'est surtout des rencontres, avec des bénévoles, des organisateurs qui développent une telle énergie que ça nous met bien direct. C'est aussi l'occasion de découvrir de nouvelles choses et de voir en live des artistes que l'on respecte grave et de parfois pouvoir échanger avec eux et que ce soit le chanteur de COCKNEY REJECTS, Lionel Limiñana pour quelques minutes ou Manu Le malin pour le dernier verre avant l'hôtel, on apprécie.

Le mot de la fin ?
Soutenez encore et toujours la scène locale, vos groupes, vos lieux, vos assos et vos festivals qui se donnent vraiment à fond pour partager leur passion malgré les aides et les subs qui se raréfient plutôt que de dilapider vos euros au profit de multinationales qui vous entassent par dizaines de milliers dans le seul but de faire un max de blé. Parce que vous méritez mieux que ça ! Merci !

Lofofora