![]() Interview réalisée par Djaycee par mail au mois de septembre 2025.
Photos réalisées par Joe Miglionico. Votre nouvel EP, “ Pedestals ”, est décrit comme un mélange d’obscurité et de rédemption. En quoi votre approche de l’écriture et de la production a-t-elle évolué depuis “ A Sin Dance ” en 2023, et quels nouveaux éléments les fans peuvent-ils s’attendre à découvrir ? Honnêtement, certains aspects de l’écriture sont restés les mêmes : je laisse les choses venir naturellement sans les forcer. La plupart des morceaux naissent spontanément, souvent à partir d’une structure d’accords ou d’un motif de doigts original trouvé sur une guitare acoustique. À mon sens, si quelque chose sonne bien à l’acoustique, cela se traduira encore mieux à l’électrique. En général, ce que je trouve et joue en premier reste ce que je préfère à l’oreille et ce sur quoi je construis ensuite. Si une idée met trop de temps à venir, je la laisse reposer et y reviens plus tard, lorsque je me sens inspiré. Il m’arrive rarement de partir d’un schéma rythmique à la batterie, d’une mélodie de piano ou de chant, mais cela reste exceptionnel. J’écris toujours les paroles en dernier : la musique guide la direction mélodique et la cadence. J’essaie de garder les thèmes universels, tout en m’amusant avec le jeu de mots quand je le peux. Les textes s’inspirent de ce que j’ai vu, vécu, et des gens ou des circonstances autour de moi. Les harmonies vocales et les éléments percussifs sont les touches finales de chaque enregistrement. Sur le premier album, j’ai travaillé avec un ingénieur du son talentueux et expérimenté, Scott Mackey, un ami depuis les années 1990. Il sait ce que j’aime et ce que je veux obtenir sans que j’aie besoin de trop expliquer. J’ai beaucoup appris de lui en matière d’enregistrement et de mixage, ce qui m’a servi pour cette nouvelle série de morceaux. J’ai tout enregistré moi-même cette fois-ci, par nécessité et par préférence. Je vis désormais dans le Massachusetts, à des milliers de kilomètres de mon équipe de production, et j’ai trouvé plus efficace d’enregistrer seul avant d’envoyer les pistes pour le mixage. Deux amis ont ensuite pris le relais : Eric Graves (guitariste de THE ESOTERIC) a mixé “ MK Ultra ”, et Paul Malinowski du groupe SHINER s’est occupé du reste. Ils ont tous deux apporté une fraîcheur à l’ensemble, ouvrant le son tout en conservant la séparation entre les éléments. Sur cet EP, j’ai voulu incorporer davantage d’éléments électroniques dans le son et l’atmosphère. J’aime les textures riches et les couches épaisses, pour que l’auditeur découvre de nouveaux détails à chaque écoute. La musique de THE BEHAVIOUR ne se saisit pas en une seule fois — c’est voulu. J’aime qu’un enregistrement révèle de nouvelles choses à chaque écoute. J’ai aussi voulu aller plus loin dans toutes les directions : plus mélodique, mais aussi plus lourd. Plus technique, mais toujours humain et organique. Il n’y a ici aucun programme, aucun autotune, aucune quantisation, aucune IA, aucun artifice de studio. Je veux que tout soit brut, pur et réel — surtout face à la quantité de musique homogénéisée qui existe aujourd’hui. Le titre “ Pedestals ” évoque à la fois la révérence et la prudence. Quelle expérience personnelle a directement inspiré le thème central de cet EP ? En effet, les piédestaux représentent ce sur quoi nous plaçons quelqu’un ou quelque chose que nous vénérons — ou, à l’inverse, une situation où l’on admire sans recul. Comme vous le dites, c’est aussi un avertissement : il faut être attentif à ce que l’on choisit d’élever, car tout est temporaire. Chaque morceau de l’EP reflète cela à sa manière, mais “ MK Ultra ” est sans doute le plus personnel. “ MK ” sont les initiales d’un proche parent qui a perdu son combat contre le cancer. J’avais initialement écrit cette chanson pour qu’il puisse y jouer et chanter avant de partir — un moyen de lui offrir un projet positif et créatif pendant la maladie, et de lui rendre hommage ensuite. Malheureusement, cela n’a pas pu se faire, et le morceau est devenu un hommage à lui et à d’autres proches disparus depuis. Je l’ai écrit à la fois de son point de vue — de l’intérieur, face à l’inconnu — et du mien, en observant ce qu’il vivait. C’est aussi un double sens, faisant référence au contrôle mental et à la reprogrammation, qu’elle soit intérieure ou extérieure. Lui, et tous ceux que j’ai perdus, méritent leur propre piédestal. ![]() Vous avez cité des influences comme Jeff Buckley, Leonard Cohen ou PINK FLOYD. Comment canalisez-vous leurs qualités poétiques et spirituelles dans le son de THE BEHAVIOUR, tout en y mêlant des éléments plus lourds et saturés ? Le sens de la mélodie chez Buckley, son timbre et sa voix sont incomparables. Il chantait avec une grâce quasi angélique et ses textes étaient bouleversants. Il inspire beaucoup mon approche des harmonies vocales et la façon de transmettre un message lyrique à la fois aérien, hanté et beau. Cohen, lui, m’influence autrement : sa voix est plus proche de la mienne, plus grave, mais tout aussi expressive. Ses textes reflétaient ce qu’il observait du monde, une démarche qui, sans le vouloir, se retrouve aussi dans ma propre écriture. Quant à PINK FLOYD, leur usage des textures, des couches sonores et de l’atmosphère a eu une influence majeure sur THE BEHAVIOUR. J’aime entendre de nouveaux détails à chaque écoute, et c’est ce qu’ils savaient si bien faire. Ajouter à cela la lourdeur, la distorsion, le fuzz, la réverb, le delay et les éléments électroniques crée un mur du son immense et immersif. Vous avez passé une grande partie de votre carrière comme batteur pour des groupes tels que KYLESA ou BLACK LIGHT BURNS. Quels défis et quelles récompenses avez-vous trouvés en devenant auteur-compositeur principal et chanteur ? Je dois aussi citer THE ESOTERIC et TODAY IS THE DAY, car ces groupes ont été déterminants dans mon parcours. TITD m’a appris à composer dans des signatures rythmiques inhabituelles. THE ESOTERIC m’a enseigné l’équilibre entre complexité technique et sens mélodique, avec une approche pop et originale. KYLESA m’a permis d’explorer la puissance rythmique de deux batteurs dans un son massif et psychédélique. BLACK LIGHT BURNS m’a appris à jouer avec rigueur, au clic, tout en conservant un groove humain. En gérant désormais tous les instruments et le chant, mon jeu de guitare reste imprégné de mon sens du rythme de batteur, ce qui m’aide à construire les fondations de chaque morceau. Le seul vrai défi a été de prendre confiance au micro. J’ai toujours su que j’avais une bonne voix — pas exceptionnelle, mais juste — et surtout que je savais ce que je voulais entendre. L’absence de compromis et la liberté totale d’expression sont la plus grande récompense. THE BEHAVIOUR est présenté comme plus qu’un projet solo. Qui sont vos principaux collaborateurs, et comment influencent-ils le son et la vision du groupe ? C’est plus qu’un projet solo car c’est une véritable démarche artistique, sincère et vulnérable. Ce n’est ni pour la vanité, ni pour l’attention. C’est une expression pure de l’âme, un moyen de guérison et de catharsis. Les seuls collaborateurs sont ceux liés à la production : Eric Graves, Paul Malinowski, Mike Nolte (Eureka Mastering). Je dois aussi mentionner mon âme sœur, Wendy — artiste, peintre, poète et autrice — qui m’inspire profondément et m’aide dans la conception visuelle des pochettes et contenus. Avec votre longue expérience de la scène, comment vos performances live influencent-elles votre travail en studio, et inversement ? Précision, contrôle, dynamique, équilibre, tonalité, énergie : tout cela est essentiel à une bonne performance. En studio, j’essaie de capturer cette intensité réelle, ce souffle du live. C’est difficile, car on transforme des vibrations physiques en signaux électroniques, puis en son à nouveau. Mais je ne m’inquiète pas de la transposition sur scène : je sais que ça marchera. ![]() Le son de THE BEHAVIOUR repose sur la chaleur analogique et les guitares saturées. Quel matériel ou quelles techniques sont essentielles pour obtenir cette signature sonore ? Avant tout, tout capturer en direct — sans programmation, autotune, ni IA. Si je ne peux pas le jouer, je ne l’enregistre pas. J’utilise plusieurs pédales (Big Sky Reverb, Empress Echo System…), un ampli Fender Blues Deluxe et une tête Orange Micro Dark. J’aime particulièrement le Fender Bandmaster de 1969. Mes guitares sont modestes : une Epiphone 335 Dot Deluxe (2001), une Sheraton II (2004) et une Wildkat plus récente, toutes semi-hollow. Les micros P90 et humbuckers y sont excellents. Côté batterie, je joue sur C&C Custom Drums, avec parfois une Alesis électronique. J’enregistre sur Logic Pro avec des plugins Waves et Universal Audio. Mon micro principal reste un simple AKG C410. Vous avez décrit THE BEHAVIOUR comme un exercice cathartique de “ shadow work ”. Comment trouvez-vous l’équilibre entre l’intime et l’universel dans vos paroles ? J’admire les artistes qui laissent leur art parler sans tout expliquer. J’utilise les métaphores, symboles, allusions et images pour rester ouvert à l’interprétation. Je veux que chacun y trouve une résonance personnelle. Souvent, je ne comprends le sens profond d’une chanson qu’après l’avoir terminée — quand je prends du recul et vois ce que mon inconscient voulait dire. Vous avez tourné avec des légendes comme MOTÖRHEAD, DEFTONES et THE SMASHING PUMPKINS. Y a-t-il une leçon tirée de ces tournées qui vous accompagne encore ? Oui : savoir allier créativité et professionnalisme. Peu importe les difficultés, le spectacle devait toujours avoir lieu. Et puis, apprendre à gérer son endurance. À part Lemmy, qui semblait invincible, tout le monde devait prendre soin de sa santé. Vous avez remplacé Brann Dailor dans TODAY IS THE DAY et rejoint plus tard BLACK LIGHT BURNS. Comment ces expériences ont-elles influencé votre approche actuelle ? Elles m’ont appris à croire en moi. Quand j’ai remplacé Brann, personne ne savait encore que MASTODON deviendrait un tel mastodonte. Plus tard, remplacer Josh Freese dans BLACK LIGHT BURNS, avec des figures comme Danny Lohner (NINE INCH NAILS, A PERFECT CIRCLE) et Wes Borland (LIMP BIZKIT), a été une grande école d’humilité. Ces expériences me gardent reconnaissant d’être toujours là dans une industrie aussi instable. ![]() Votre travail avec BLACK LIGHT BURNS est apparu sur les bandes originales d’“Underworld”. Pensez-vous que la musique de THE BEHAVIOUR pourrait s’intégrer à des films, et avec quels cinéastes rêveriez-vous de collaborer ? Absolument. Je pense que la musique de THE BEHAVIOUR, éthérée mais universelle, se prêterait bien au cinéma. Côté rêve, j’adorerais collaborer avec Luca Guadagnino (“ Suspiria ”), Parker Finn (“ Smile ”), Robert Eggers (“ The Northman ”) ou Denis Villeneuve (“ Dune ”, “ Arrival ”). THE BEHAVIOUR mêle blues, shoegaze et rock alternatif. Quels artistes ou albums incarnent le mieux cette fusion, et comment cherchez-vous à repousser ces frontières ? Pour moi, FAILURE en est un bon exemple, tout comme DEFTONES, ALCEST, BLACK REBEL MOTORCYCLE CLUB, THE BLACK ANGELS, DEAD MEADOW, MAZZY STAR ou SPIRITUALIZED. Quant à repousser les limites, je ne me pose pas la question : je fais simplement ce qui me semble juste. Ce qui en sort… est ce que c’est. Votre musique est décrite comme parfaite pour les trajets nocturnes et l’introspection. Quel est votre rituel idéal pour écouter de la musique ? J’aime écouter du jazz, du classique ou du rock progressif des années 70 le matin avec mon épouse. Cela nous éveille en douceur. En voiture, je ne peux pas ne pas écouter de musique — tout dépend de l’humeur ou du temps. Cela va du swing des années 40 à REFUSED, de Miles Davis à CHELSEA WOLFE, de ZZ Top à Nick Cave. Pourquoi avoir choisi de sortir votre nouvelle musique via Rexius Records, et comment le label soutient-il votre vision ? J’apprécie qu’ils se définissent comme un “ amplificateur ”. Ils aident les artistes indépendants à renforcer leur visibilité sans interférer dans leurs choix. Ils comprennent le fonctionnement moderne de l’industrie musicale, surtout côté streaming et distribution. Ils m’ont soutenu sans jamais me brider — je n’ai que des mots de gratitude pour leur équipe. Si vous pouviez laisser une seule impression à vos auditeurs après avoir écouté “ Pedestals ”, laquelle serait-ce ? Sans vouloir paraître cliché : j’espère simplement que vous prendrez autant de plaisir à l’écouter que j’en ai eu à le créer. Sortir quelque chose d’aussi intime dans le monde, c’est exposer son âme. J’espère que ces morceaux vous parleront, vous émouvront, et que vous y découvrirez à chaque écoute de nouvelles nuances. Si cela touche quelqu’un, alors j’ai réussi. Merci. |