7 WEEKS


Interview réalisée par Djaycee le 12 juillet 2024 aux Francofolies 2024 de La Rochelle.


AMENRA est un groupe à part sur la scène Métal. Les Nuits collectives et leur superbe écrin qui les accueille, la Sirène, nous permet d’échanger sur le processus créatif du groupe mais également sur les festivals et sur la version acoustique du groupe, qui a récemment sorti la BO d’un film.

Merci de nous accorder cette interview. C'est un peu étonnant de vous voir à l'affiche des Francos alors que l'année dernière vous étiez sur la Valley au Hellfest.
Colin H. Van Eeckhout : Oui, c'est sûr.
On est un petit peu aux antipodes finalement, parce qu’aux Francofolies, on voit plutôt de la chanson française, de la variété française. Et là, depuis trois ou quatre ans, on a cette soirée dite métal. Est-ce qu’on aborde les deux festivals (Hellfest et Francos) de la même manière ?
Colin H. Van Eeckhout : Nous oui en tous les cas. Peu importe le festival, il y aura toujours quelqu'un dans le public que tu peux toucher, mais même si notre musique s’adresse à une certaine niche dans le métal car c’est dur pour les gens je pense, nos morceaux sont longs et on ne fait pas dans le stéréotype du métal. Le truc avec nous, c'est qu'on n'est pas vraiment un groupe pour faire la fête et c’est ce qui est étrange quand on nous met sur un festival ; ici c'est différent parce que c'est un concert en intérieur dans une salle alors qu’en festival en plein air, les gens sont là pour s'amuser, pour boire des coups et donc ça peut paraître étrange de jouer après un groupe de ska par exemple. Nous sommes là pour amener des mauvaises nouvelles et de la noirceur. Mais c'est intéressant en tout cas.
Est-ce que la noirceur est forcément une mauvaise nouvelle ? Parce qu'il y a quand même une communion autour de votre set avec tout ce qui est visuel et le côté un peu vaporeux, même si c'est très lourd.
Colin H. Van Eeckhout : C'est vrai, il y a une espèce d'amour ou de lumière qui sort du truc. Il y a de l'espoir dans ce qu'on fait quand même, mais il faut vouloir le chercher dans le concert. Il faut s’investir un peu dans notre musique. Mais c'est intéressant et pour nous, c'est cool. Hier, nous étions déjà là, alors on est allé voir Patrick Bruel. Mais c'est cool quoi. On habitait tout près de la frontière française en Belgique, alors on avait aussi la télé française et Club Dorothée quand on était petits et on connaissait aussi Gilbert Montagné, ainsi que d'autres hits français. Alors c'est aussi une partie de notre ADN. Ce n'est pas vraiment pas normal que l'on soit sur la même affiche que Patrick Bruel, mais néanmoins c'est assez cool pour nous. Tout cela reste de la Culture.
C'est vrai que ça fait trois/quatre ans qu'ils mélangent un petit peu les genres avec les Nuits Collectives et sa soirée métal.
Colin H. Van Eeckhout : Mais c'est bon de programmer différents styles car cela permet de fédérer un peu tout le monde aussi.

Amenra

Vous avez sorti une B.O récemment " Skunk " ? Ce sont des titres qu'on pourra trouver ce soir ou c'est vraiment une parenthèse ?
Colin H. Van Eeckhout : Si on joue ces morceaux, c'est plutôt en acoustique. On a aussi une partie du groupe qui est acoustique. On fait aussi des concerts acoustiques avec AMENRA et là c'est plutôt quelque chose qu'on va mettre dans cette configuration.
D'accord, ok, c'était ma question au niveau de la composition entre un disque traditionnel d’AMENRA et une bande originale. Il y a vraiment des choses différentes où vous dites ce type de morceaux là, ça va particulièrement avec le film ? Vous avez vu le film avant ?
Colin H. Van Eeckhout : On avait vu des scènes. Et on avait un point de repère émotionnel. Les scènes nous donnent une base de travail et une sorte d'atmosphère. C'était cool de faire cette bande originale parce que notre musique est assez filmique. Il y a beaucoup d'images qui viennent à l'évocation de notre musique et nous avons essayé de coller au film.
Et donc ces titres-là sont plutôt orientés pour des concerts acoustiques que vous faites dans les églises.
Colin H. Van Eeckhout : C'est la bande son acoustique oui, ce n'est pas l'AMENRA puissant que tu verras ce soir.
Y-a-t-il des lieux qui seraient un bon réceptacle pour votre musique ? J'ai lu que vous aviez déjà joué dans des forêts, dans des églises.
Colin H. Van Eeckhout : Ça aide toujours les gens. Tu veux une expérience qui semble unique quand même. Et ça aide quand tu joues dans des endroits où ce n’est pas habituel de faire des concerts. Tu es ensemble avec des gens et ça vous connecte un peu plus encore que la salle de concert que tu visites chaque week-end. Alors ça te place encore plus dans le moment je trouve. Tu réalises que ce moment est fugace, temporaire, tu dois le vivre maintenant et cela ne se reproduira plus jamais. Cela rend la performance unique.
Et dans les lieux que vous avez ciblés, vous avez déjà des choses particulières ? Ce sont des lieux naturels ou ce sont plutôt des bâtiments industriels ?
Colin H. Van Eeckhout : Nous avons trouvé une espèce de ruine mais cela peut-être dans un forêt ou une fois sur une colline où les chasseurs plument leurs proies et où il y avait tout leur bordel. Nous avons aussi joué dans des caves. Ça dépend des opportunités…

Tu parlais de la version acoustique d'AMENRA, mais vous avez aussi Church of RA qui élargit le spectre. Vous avez fait aussi pas mal de splits. Cela donne l'impression que la famille Church of RA est quasiment infinie. Ça se passe comment ? Ce sont des rencontres où vous ciblez un artiste en particulier que vous contactez ?
Colin H. Van Eeckhout : Non, ce sont des rencontres en fait. Ce sont plutôt des gens qu'on rencontre autour de nous, qui habitent autour de nous. Cela dépend du médium d'art ils pratiquent. Tu as des photographes ou des peintres ou des graphic designers ou des danseurs par exemple, mais tu rencontres des gens qui racontent un peu la même histoire que toi. Nous racontons cette histoire avec notre musique et notre style et eux ils le transcrivent avec des mouvements ou de la peinture mais à chaque fois c'est la même histoire. Le fait de travailler avec ces gens-là renforce l'ensemble et tout devient énorme. Et c'est ce qu'on a compris assez vite. De ne pas se concurrencer ou de ne pas chercher à prendre la place de l'autre, mais de bosser tous ensemble. Et c’est ça qui est intéressant. Une sorte d'inspiration mutuelle, vous buvez un café ensemble et il y a les idées qui fusent. C’est cela qui est extrêmement intéressant.

Amenra

Revenons peut-être sur le concert du Hellfest l'année dernière parce que c'était mon premier concert d'AMENRA et je me suis pris toute la scénographie en pleine tronche en tant que photographe.
Colin H. Van Eeckhout : Merde, ça fait noir. Fuck ! (Rires).
Il y avait un peu de cela au début. Mais il y avait aussi cette claque que l'on prend dès les premières notes. Tu disais que c'est dur de rentrer dans votre show mais finalement...
Colin H. Van Eeckhout : Quand tu n'as pas le choix, tu es obligé de te laisser emporter.
C'est ça, on est captivé et vous nous emmenez. Et vous aviez déjà fait un Hellfest ? Je ne sais pas si c'était déjà sur la Valley ?
Colin H. Van Eeckhout : Une fois, nous avions joué sous la tente.
Oui, la Valley était en tente avant. Donc c'était pour savoir comment vous aviez trouvé ce nouvel espace. Est-ce que ça répond finalement à ces lieux particuliers ?
Colin H. Van Eeckhout : C'est plus dur pour nous parce que tu as moins de contrôle sur la situation. Tu as moins de temps pour te préparer. Tous les groupes ont une demi-heure pour mettre tout leur bordel, alors si tu joues simplement de la musique, ça va. Mais si tu as les projections et tes propres lumières. C'est un peu stressant quoi. Ce n’est jamais un cadeau en fait de jouer sur un festival parce que tous les médias sont là.
Une pression et on n'a pas forcément le public derrière.
Colin H. Van Eeckhout : Ou pas nécessairement. Ils ne sont pas tous là pour toi. Tu n'as pas toute l'après-midi pour faire tes balances, alors c'est toujours moins confortable. Mais si cela se passe bien, c'est cool. Et tu as beaucoup de gens qui ne vous connaissent pas, alors tu peux aller les chercher.
J'en faisais partie. Je connaissais le nom et je me suis dit : " bah tiens, je vais aller voir ce que ça donne ". Et visuellement, après le " Fuck. Merde, faut faire les réglages pour faire des photos ", on se laisse emporter par le spectacle.
Colin H. Van Eeckhout : Avec nous, il faut avoir un peu de chance aussi. Mais quand tu as une bonne photo, cela rend bien. Et comme tu dis, avec le back drop qui change tout le temps, tu as une espèce de dialogue entre nous et l'image que tu vois et tu as vraiment quelque chose à bosser avec les photographes qui viennent avec nous. Ils aiment prendre le temps de savoir ce qui se passe et ce qui va se passer sur scène et dans la projection.

Quelles sont les inspirations d’AMENRA quand et comment se passe la composition aussi ?
Colin H. Van Eeckhout : Chez nous, c'est différent. Les autres groupes ont la plupart du temps, ont un songwriter principal. Il vient dans le groupe et il dit " Ça va être comme ça ". Mais chez nous, tout le monde a quelque chose à dire sur les parties des autres. Le batteur a des commentaires sur mon chant. Moi j'ai dit des trucs sur la basse. Ça prend beaucoup de temps, ce sont plutôt les guitaristes qui viennent avec une espèce de mélodie. Et puis, on commence à faire un puzzle avec les idées des autres. Mais on prend notre temps ; il faut qu'au moins trois d'entre nous aient la chair de poule ou les larmes aux yeux et on sait à ce moment-là qu'on doit partir sur cette route. Ce sont les mots qui doivent m'inspirer. Alors ça peut être un film ou un livre que je lis, une peinture ou je ne sais pas quoi qui m'inspire. Tu as des groupes comme TOOL qui nous ont inspiré, mais aussi des artistes comme Hermann Nitsch qui est autrichien. La vie en général aussi. Tout le monde a des trucs qui se passent dans leurs vies et cela peut servir de base au message que l'on a envie de faire passer. Des évènements peuvent entrainer des changements de regards que nous avons sur la vie. Et là, il nous parait nécessaire de composer autour de cela.

J'utilise toujours cette question qui dit quelle question je ne t'ai pas posée et à laquelle tu aurais aimé répondre et quelle est la réponse à celle-ci ?
Colin H. Van Eeckhout : Ouf, ça c'est dur.
Je fais travailler l’artiste ?
Colin H. Van Eeckhout : Je pense que le plus important avec le groupe maintenant c'est la gratitude et l'amitié entre nous, ça devient plus important que la musique parce qu’on existe depuis 25 ans maintenant. Maintenant qu'on a 45 ans, l'ego devient moins important, on sait ce qu’on a fait et on sait la chance qu’on a de faire ce qu'on fait depuis nos seize ans, avec les mêmes gens. On a de la chance, on s'amuse et on est devenus amis.
Et ça facilite peut-être ce que tu disais au niveau de la réaction des autres sur les propositions de compo, vous devez commencer à savoir ce qui plait à l'autre.
Colin H. Van Eeckhout : Je pense qu'effectivement avec le temps, tu as besoin de moins de mots pour t'expliquer avec le groupe. Mais c'est dur comme question.

Merci à toi.
Colin H. Van Eeckhout : Merci beaucoup en tout cas.

Amenra