NOSTROMO - Narrenschiff:
À la base, tout part d’une intention éphémère. On est en 2016, et après plus d’une décennie d’absence, NOSTROMO se reforme temporairement pour préparer une tournée aux côtés de GOJIRA. Rien que ça. Et coup de maître niveau marketing, l’alliance des 2 poids lourds permet aux fans des Helvètes de la première heure de venir revivre la " grande époque " du Grind moderne, en même temps qu’à ceux qui n’ont jamais pu les voir de se dire que c’était maintenant ou jamais… tout en bénéficiant du très large auditoire des Bayonnais.
Cela a eu pour conséquence l’inévitable succès de la tournée de 2017, à coups de salles combles et de par-terres de festivaliers du Download ou du Dour Festival plus que bondés. Et pour avoir vu l’Hydre de violence à ce dernier, je ne donnais pas cher de leur peau pour un retour à la vie durable : live très sobre, sans valeur ajoutée, et la set-list les faisait passer pour un simple groupe de Brutal Death. La foule n’a pas été emballée : ça ne bouge que très peu et les néophytes me témoignent de leur ennui. Je ravale ma fierté d’avoir tant aimé le groupe alors même qu’ " Ecce Lex " venait de soritr, obligeant mes larmes à couler à l’intérieur de mes paupières pour ne pas perdre la face. C’était donc ça, ce qu’on était en droit d’attendre d’un mythe revenant après 11 ans d’hibernation ? Beaucoup de bruit pour presque rien, dans les 2 sens du terme.
Mais puisque la sauce a bien marché, le quatuor décide d’une reformation " pour de bon " et ne tarde pas à sortir un étonnant mais convainquant échantillon 2 titres répondant au doux nom d’ " Uræus ", dont vous pouvez trouver la chronique sur votre cher webzine. Plus d’un an pour pondre deux titres, aussi bons soient-il, après autant de temps pour ressourcer son inspiration, j’étais sceptique quant à leur capacité à produire quelque chose avant 2020.
Et pourtant, en mauvaise langue que je suis, les revoilà, quasiment un an jour pour jour après " Uræus ", avec un EP 6 titres intitulé " Narrenschiff ", référence à " La Nef Des Fous ", ouvrage écrit par un strasbourgeois au XVème siècle. Comme quoi, on peut faire de la musique d’ours en danger et être cultivé !
Mais cessons les taquineries et découvrons ce que la troupe suisse nous propose. Au menu, un plateau de brutalité servi avec une froideur sonore déconcertante. Aussi bien produit qu’ " Ecce Lex ", mais avec les moyens d’aujourd’hui et pas de la même manière. Si la glaciale colère d’antan était aérée, la version 2019 de la Bête nous enferme dans une ambiance extrêmement dense et compacte mais sacrément bien gaulée, donnant l’envergure méritée à des morceaux plus imposants que Pierre Ménès après une soirée tex-mex à volonté.
Premier constat : ça tabasse, on est à l’opposé d’une invitation à l’écoute, et la Powerviolence si caractéristique au groupe est décuplée par cette absence de chaleur dans le choix de production. L’attaque du disque est " The Drift " et frappe directe, sans introduction, avec du grand NOSTROMO ! La guitare effrénée envoie des salves labyrinthiques sur une batterie hâchée en prouesses rythmiques alliant violence et cassures, avec une bonne dose de double pédale en inévitable renfort. La passation de baguettes à Maxime Hänsenberger qui enregistre pour la première fois avec ses nouveaux comparses, semble avoir été un excellent choix puisque le morceau ne souffre d’aucun défaut technique. Au contraire, c’est varié, pondéré et sage, malgré la forte teneur en tambour ! De son côté, Javier régale de sa voix suave, et chacune de ses interventions est un véritable coup de tonnerre, sombre et vindicatif. Exit le chant clair, on n’est toujours pas face à des fragiles, " on n’est pas là pour beurrer des tartines ", disaient-ils il n’y a pas si longtemps… Tu m’Elton John... La basse de Lad, capable de déplacer tes meubles en bois massif à peine la corde titillée se fait discrète pour le moment, et donc redoutablement efficace puisqu’elle accompagne tantôt la batterie et son rythme inépuisable, tantôt la guitare et ses phrasés d’une incroyable urgence. Un véritable marathon digital. Cette ouverture est une épreuve du feu départageant qui survivra à " Narrenschiff " et qui risque de saigner par tous ses orifices lorsque l’extrême " Superbia ", poussif à souhait, interviendra.
En deuxième soldat des enfers, " Taciturn " fait foi d’une implacable virtuosité de la part de Jéjé, guitariste F1. On est sur un morceau plus mélodique, facile à décrypter, aux phases bien distinctes même si totalement colérique. La double pédale est imparable et amène un apport quasi mélodique à ce single en puissance, dévoilant une équipe plus ouverte qu’à du simple Grind comme on a fini par en entendre tant dans les années 2000. Enfin, quoi que… Parce que le " single " officiel, c’est " Superbia " qui donne justement dans un Grind très classique et sans grande originalité. C’est très agressif, presqu’âpre et en tout cas barbare jusqu’à sa seconde partie très réussie avec un nouvel élan labyrinthique de Jéjé, plutôt sublime, faut l’avouer. Beau rattrapage pour un morceau purement taillé pour les puristes et pour que les mecs se déglinguent la gueule en live.
On continue cette alternance entre Grind rûde et classique et passages plus intéressants avec " As Quasars Collide " dont le fil rouge est ce riff d’intro trainant qui sera trituré entre quelques nappes d’un frénétique bousin presque too much. Ce n’est pas si simple, de mélanger ces deux facettes avec autant de dextérité pour que les compositions restent compactes et sans temps mort, mais à mes yeux, le jeux n’en vaut pas la chandelle, lorsqu’on comprend que le côté créatif de NOSTROMO mérite plus de place qu’une énième purge bruitiste de Grind qui tâche. Ça peut paraître redondant et déjà exploité par beaucoup d’autres références, au hasard, MUMAKIL ou certains groupes de Throatruiner Records. Et puisqu’on parle de Throatruiner, passons à l’insertion Crust de l’EP avec ce riff guttural si étonnant qui introduit " Septentrion ". Dépeignant un univers Black, quasi Doom à cause de la lenteur maladive des cordes, on a pourtant droit à une suite totalement barrée et brillante se rapprochant de " The Drift ".
Enfin, en guise de fermeture, on a la non moins sombre outro " Narrenschiff ", court sas de décompression assez inquiétant avec des arpèges se répétant sur un gimmick de batterie lourd et lent, alors que se débite telle une suite d’incantations, un récit teutonique incarné par une voix démoniaque trafiquée et dénuée d’humanité. Et après 20 minutes d’épaisseur animale, l’effort est déjà terminé. Drôle de sentiment, que d’avoir été malmené de la première à la dernière seconde, mais d’avoir trouvé ça presque trop court… À la limite de l’indigeste, et pourtant assez subtilement ficelé pour avoir un goût de reviens-y.
Bref, il en ressort que la solidité de NOSTROMO est indéniable. Le groupe a su évoluer et s’insuffler l’élan mélodique qui aurait pu leur manquer, sans jamais tomber dans le mélodique ni l’accessible. On se surprend à préférer les passages où la guitare s’exprime autrement que par le Grind, et à en regretter les typiques passages d’un genre éculé. Et malheureusement, on n’a pas de morceaux à la " Sunset Motel ", à la " Turned Black " ou aussi atypique que la tranche de Crust " Uræus ". La troupe à Javier est sur quelque chose de plus compressé, sans aération, comme pour rappeler qui est le papa du game. Sauf qu’il est indéniable que la séduction du public concernant cette nouvelle mouture de NOSTROMO se fera certes par la violence, mais par la violence des sublimes passages qui allient technicité et ingéniosité mélodique, et non plus par les passages Grind qui les ont fait sâcrer roi à l’époque où c’était innovant.
Je me répète, mais c’est la clé de mon impossibilité à atteindre la totale satisfaction concernant cet EP. Métisser l’excellence et l’authenticité n’est pas une mauvaise idée, mais cette dichotomie au sein d’un même morceau me laisse perplexe tant on alterne plans qui séduisent instantanément et plans qui feront penser à de la composition par défaut, parce qu’il faut représenter ce qu’on a été à l’époque, ou à un style qu’on représente. Mais la concurrence est rûde 15 ans après, et nos pionniers de l’époque ne " sont plus qu’un " brillant élément parmi un wagon de tête comptant désormais des dizaines de références efficaces.
Mais allez… soyons sport, c’est déjà vraiment bon donc on va dire que l’absence est excusée si l’album, qui ne devrait pas tarder, s’avère encore meilleur. En attendant, bel effort pour nous faire patienter, mais à mon goût, il aurait pu être encore meilleur ! Impatient de découvrir la suite…

(Chronique réalisée par Ben)


Date de sortie: 8 Mars 2019
Label/Distributeur: Noiseaddict
Site Web: www.facebook.com/nostromogva
Nostromo

1. The Drift
2. Taciturn
3. Superbia
4. As Quasars Collide
5. Septentrion
6. Narrenschiff