Patrice Vigier


Interview réalisée par Djaycee à Paris le 26 octobre 2018.


Patrice Vigier est guitariste et luthier connu dans le monde entier pour être un fabricant de guitares, depuis 1980 grâce à sa création d’instruments innovants, tels qu’une guitare sans frètes dite fretless avec une touche métallique ou la première guitare à mémoire. Les musiciens tels que DEEP PURPLE, BLACK SABBATH, LED ZEPPELIN, SIMPLE MINDS, GUNS AND ROSES, OINGO BOINGO, STANLEY JORDAN, LAPIRO DE MBANGA ou SHAWN LANE utilisent les instruments VIGIER.
Rencontrer Patrice Vigier, c’est donc rencontrer un artisan de la musique qui façonne, bichonne le son de ses guitares, c’est également rencontrer un artiste attachant et sincère peu rodé à la promo (dans le bon sens du terme) et qui vous reçoit en vous offrant, T-shirt, album et accessoirement un coup à boire et qui vous remercie en plus de vous intéresser à sa musique. Un homme à part dans l’industrie de la musique.


JC : Le grand public ne te connait pas même si les artistes adorent tes instruments. Comment as-tu pas sauté le pas vers cet album et tu décris son genre comme du rock classique progressif ?
PV : cela s’est fait très doucement, car j’étais très occupé avec mon métier de fabrication de guitares, et les premières décennies, j’avais beaucoup de travail, donc je n’avais pas du tout de temps. Le projet a commencé à mûrir il y a de cela une dizaine d’années, je suis rentré dans un groupe vraiment sympa dans lequel on faisait des reprises, et je leur ai dit on va faire des compos mais ils n’étaient pas chauds donc on en est resté là.
JC : avec un peu de regrets ?
PV : non pas de regret. Le chanteur, je le vois toujours c’est un ami. Mais ce n’était pas leur truc, voilà ils n’avaient pas envie de faire ça, c’est tout. Et moi, à l’époque j’avais déjà fait deux morceaux qui sont sur l’album et il y a un peu de temps qui est passé, et un été je dis : je prends mes semaines de vacances et je vais finir l’album mais je n’ai fait que 3 morceaux cette année-là. Je suis un peu lent car je suis perfectionniste. J’avais ces morceaux et mon problème c’était de faire cohabiter mon aspect fabriquant de guitares et j’ai des musiciens en or qui jouent sur mes instruments. La qualité de mes instruments, je la connais, ce sont des instruments parmi les meilleurs. Sur ce projet là, j’ai un petit complexe, autant en tant que fabriquant de guitares, c’est ce que je fais toute ma vie donc je n’osais pas passer le pas. Et un jour, je parle avec Pascal Mulot qui est le bassiste qui joue sur Vigier depuis plusieurs années et il me dit " Il faut y aller, tu es fou ! ça m’intéresse ! " mais je lui réponds " non, non " mais il en parle à Aurèl [Aurélien Ouzoulias ndlr] et Aurèl dit " OK " mais je leur dis que moi je ne veux pas faire un groupe instrumental, je veux un chanteur.


JC : cela tombe bien, je voulais aborder ce point dans une de mes questions, pourquoi ne pas partir de l’instrumental, c’est ta passion, les guitares sont ta vie. Il fallait tout de même un chanteur, il y avait ce besoin de chant ?
PV : oui c’est exact, d’abord parce que je n’aime pas parler tout le temps et pour moi c’est ma culture : un chanteur et un groupe. Et donc Pascal me dit, je vais parler à Renaud HANTSON et il l’appelle devant moi et RENAUD HANTSON lui répond " PATRICE VIGIER, oui je connais, tu parles… mon ancien bassiste avait une basse VIGIER, pour moi c’est dans mon cœur pour l’éternité, pas de problème, je ferai un titre. " Un titre, déjà j’étais content mais en fait il a fait l’album en entier. Il s’est senti inspiré et vraiment ce qu’il a fait c’est génial.
Voilà comment les choses ont abouti mais cela s’est fait sur une longue période parce que je n’étais pas à l’aise.
JC : avec la renommée qui est la tienne, au niveau de la conception d’instruments, tu aurais pu finalement faire un " all star band " ou " all star album " en allant chercher à droite à gauche. C’était déjà dans l’optique de la scène ? car tu aurais pu te dire " je vais chercher tel guitariste pour qu’on puisse se faire des challenges de riffs ", je vais chercher tel chanteur car je vois bien sa voix sur tel morceau ? On parlait tout à l’heure des FOO FIGHTERS (avant l’interview avec l’agence de Com’) DAVE GROHL a fait ce choix avec PROBOT où il est allé chercher des grands noms.
PV : je ne voulais pas faire cela, tu ne peux pas trop dire cela en interview mais je pensais que cela allait faire racoleur, en fait se servir des autres pour ramener à toi leur notoriété, cela me met un peu mal à l’aise. Et puis l’autre chose, j’ai aussi besoin de prouver que je suis capable de composer, d’arranger, de produire. C’est un mélange de tout. Ce n’est pas ferme et définitif mais à l’époque, je ne l’ai pas senti comme cela. Déjà, en parler à Pascal c’était déjà un effort car c’est un des plus grands bassistes de la planète. Aurélien, pareil je ne l’aurais jamais contacté. Pour moi je n’allais pas le contacter si Pascal ne le fait pas.
JC : il est plutôt métal à la base, il jouait avec ZUUL FX, il a fait les parties d’un ami (Djag ex-BLACK BOMB A) sur LE NOYAU DUR. Quand j’ai vu sa discographie, et que je l’ai vu dans le projet, cela m’a intrigué mais le disque est parfaitement homogène. Mais je t’avoue que quand on lit la bio de SUMMER STORM on ne sait pas trop où on met les pied, un ancien chanteur de STARMANIA, même s’il fait du rock maintenant, un batteur de métal, un luthier à la guitare et un bassiste ultra renommé. On se demande juste ce que cela va donner à la fin mais l’ensemble est ultra cohérent et on voit cette cohésion.
PV : c’est parce que les mecs sont au service de la musique. Tu parles d’Aurélien, il est dans différents trucs parce qu’il écoute différents trucs. Il aime différents styles, tout comme Renaud d’ailleurs et moi c’est ce qui m’a plu dans Renaud, c’est que justement quelqu’un qui est capable de faire du métal mais qui est aussi branché par la variété, avec tout ce qu’il y a de bon dans la variété et c’est cela qui m’intéresse. C’est que l’on est au service de la musique plus qu’au service de soi-même. Et ce qu’ils ont fait chacun séparément, Pascal a été très sobre alors qu’il est capable de tout faire, et pareil pour Aurèl.
JC : ils se sont mis à ton service.
PV : pas à mon service, au service de la musique. Je n’ai pas fait de retouche sur ce qu’à fait Aurèl.

JC : au niveau de la composition des textes, tu ne te sentais pas d’aller sur ce terrain, tu as laissé tout à Renaud ?
PV : oui, c’est son Job et c’est vraiment l’intérêt. C’est que quelqu’un apport des choses à la musique. Et d’abord cela n’aurait pas marché car Renaud a son caractère et il sait vraiment ce qu’il veut et ça n’aurait pas marché mais ce n’est pas ma manière de voir, il doit apporter sa sensibilité et c’est sa partie le chant et l’écriture. Il a été libre, tout ce que j’ai demandé à Renaud, c’est par rapport au titre " GV " qui est un hommage à mon père Georges Vigier. J’ai parlé avec Renaud de ma relation avec mon père, de qui il était ; mais très peu, en 10 min et il a vraiment synthétisé cela à la perfection. Je lui ai juste proposé sur " Whoever you are " que l’on fasse un truc sur la vie des groupes, il est resté dans l’esprit.
JC : sur la chanson " GV ", j’ai demandé à Chris de l’agence les paroles et qui était auteur et compositeur. Et j’ai vu que c’était Renaud qui avait écrit tous les textes. Ce n’est pas trop difficile qu’une autre personne fasse l’éloge de son père ? il a vraiment suivi ce que tu lui as dit ?
PV : oui c’est hallucinant. Il a synthétisé 10 minutes de conversation. Déjà c’est difficile de résumer la vie de mon père en 10 minutes mais je lui ai dit l’essentiel. Et il a trouvé les mots, je n’ai rien retouché. Quand on était en session d’enregistrement, Renaud te le confirmeras, j’avais les larmes aux yeux.


JC : quand j’ai vu qu’un ancien chanteur de STARMANIA allait poser sa voix sur du rock progressif, je ne savais pas ce que cela allait donner mais c’était sans connaitre la suite de sa carrière. Sur la pochette, pourquoi un embryon au milieu de l’orage.
PV : la pochette c’est Alexis, mon fils est directeur artistique et il a du talent. Pourquoi l’embryon ? parce que c’est le début. C’est la naissance.
JC : on est plus sur une gestation de pachyderme si tu me dis que tu as mis 3 ou 4 ans à préparer le disque.
PV : peut-être même plus, mais il n’y a pas de règle dans la musique.

JC : dans la bio, tu indiques ce " First " est le premier volet d’un triptyque, avec un album en préparation et la partie live par la suite. Cela va-t-il être facile de gérer la suite avec les agendas de chacun ? Renaud a énormément de projets en cours.
PV : c’est compliqué.
JC : allez-vous défendre le disque par une tournée ?
PV : ce que je voudrais c’est structurer le projet, que nous ayons un manager car moi je ne veux pas faire ça. Cela dépendra de la manière dont sera reçu l’album, si un manager tombe dessus et qu’il l’aime. C’est dans les tuyaux, l’intérêt c’est de faire de la scène. Tout le groupe s’arrangera pour que cela passe.

JC : au niveau du titre éponyme au groupe, SUMMER STORM, c’est un titre qui fait 7 minutes, j’ai vu qu’il y a une version promo raccourcie.
PV : on n’a pas sorti la version promo.
JC : c’est un des titres phares de l’album et ce n’est pas packagé Radio.
PV : c’est un problème car on ne peut pas faire de vidéo avec. Pour moi, c’est un titre fondateur du groupe comme l’est " GV ". On ne peut pas en faire la promo, cela ne correspond pas au timing d’aujourd’hui, tout le monde veut aller très vite.
JC : surtout si on rajoute l’intro qui est quasiment partie intégrante du morceau, on avoisine les 10 minutes.
PV : ce n’est pas trop une intro à la chanson en tant que tel, c’est une intro au disque.
JC : c’est vrai, mais en écoutant l’album d’une traite, on se laisse emporter. La bio nous indique ta volonté que le groupe soit le premier " rock classique progressif français à l'échelle internationale ". Pourtant le chant est en anglais, sauf l’amoureuse sur une chanson qui susurre en français.
PV : cela a été assez naturel avec Renaud de faire l’album en anglais. Si on veut toucher plus de monde, l’anglais est la langue du rock. Si tu veux t’exporter en français, il faut faire du AZNAVOUR.
JC : justement sur cette chanson, " Natural born lover ", on retrouve un peu de français dans les textes. Et tu t’es inspiré de MOZART pour la composition c’est un peu étonnant non ?
PV : j’écoutais beaucoup de MOZART à l’époque. Cette chanson n’est pas trop ancienne. Enfin l’album est fini depuis plus de deux ans et je le sors en autoprod.

JC : c’est un peu un challenge pour toi de sortir de l’ombre. Tu es un artisan de musique. Tu as su améliorer et créer les instruments, comment cela se passe avec les artistes ?
PV : tout dépend de la relation que l’on a avec nos artistes, en général ce sont des gens qui recherchent l’excellence dans leurs instruments. Celui qui est intéressé par sponsoring rémunéré, avec nous cela n’est pas possible, je rejette, cela ne m’intéresse pas. C’est ce qui fait que nous avons des grands noms. Les instruments sont ce qu’ils sont et les VIGIER quand vous jouez dessus c’est facile, ça sonne, c’est fiable. Et puis il y a des innovations, genre la guitare fretless. BUMBLEFOOT qui a joué avec GUNS AND ROSES cela fait désormais partie intégrante de son jeu.

JC : à la base se sont plutôt les basses qui sont fretless, c’est bien cela ?
PV : oui. Nous sommes les premiers à le faire sur de la guitare. Le problème avec les guitares c’est que si tu retires les frètes, les notes sont très courtes. C’est injouable car les notes ne durent pas. C’est une innovation que j’ai lancée en 1980, et pendant 17 ans on en a vendu qu’une jusqu’au jour où BUMBLEFOOT est tombé dessus. Si tu écoutes le " Chineese democracy " de GUNS AND ROSES, il y a beaucoup de fretless VIGIER dessus.


JC : je reviens sur une question que je t’ai déjà posée mais avec tout ces contacts, il n’y a pas eu une tentation sur l’album, ou sur les live à venir de faire venir des guests comme cela ?
PV : non, non. L’objectif était de faire de la musique qui me plaise. Il y un concurrent qui a le même job que moi, il a fait un album avec tout ses guitaristes. Je ne trouve que cela n’a pas d’intérêt et que c’est plus de la démonstration que de la musique.
Mon but c’est de faire de la musique. Pas pour cet album, je ne dis pas que cela ne se fera pas plus tard mais pas pour le premier.
JC : si à la base, ce n’est pas tout à fait mon style de musique, j’y reviens avec plaisir sur cet album. Les compositions sont fines, ce rock progressif teinté des 80 et 90, j’y reviens avec plaisir.
PV : c’est un beau compliment, merci.

JC : deux instrumentales ouvrent et clôturent le disque, et quand on écoute le disque en boucle on est finalement pris dans cette tornade SUMMER STORM et une sorte de tourbillon dans lequel on a du mal à sortir.
PV : en fait " free days " n’était pas prévue à la base pour être chantée mais quand tu as un chanteur comme Renaud qui peut tout faire avec sa voix, tu ne laisses pas l’occasion ce type de chanson avec les variations. On a refait le mix une fois qu’il a posé sa voix. Je savais que " free days " était possible à chanter mais il fallait être bon.

JC : merci pour cet échange.
PV : merci de me remercier.