![]() Interview réalisée par Djaycee par mail au mois de Juin 2025.
Tu étais au sommet du rock français avec ta précédente formation, et te voilà à rejouer en solo sous un autre nom. À quel moment s’est imposée l’idée de repartir à zéro avec SIXPENNY MILLIONNAIRE ? Au sommet des Vosges, à la limite, mais n'exagérons rien, un chien-loup, ce n’est pas un loup. On n’était pas non plus NOIR DESIR ou INDOCHINE en termes de notoriété. Par ailleurs, pour moi l’intégrité est une valeur importante. C’est pour cela que j’ai quitté NO ONE, ainsi que la plupart des gens de l’équipe, quand on a découvert que le chanteur nous avait menti quant aux accusations de VSS dont il faisait l’objet. La création de ce nouveau projet s'est faite toute seule, naturellement, après avoir digéré cette (grosse) pilule. Quand on a connu les gros festivals, les Zénith ou le Hellfest, comment vit-on un retour aux salles plus petites, aux premières parties, aux flyers à la main ? Est-ce un retour aux sources ou un saut dans le vide ? Je le vis très bien, il y a une vérité là-dedans qui fait du bien. Le show-business porte bien son nom, et franchement parfois c’est juste too much en termes de proportions. J’ai l’impression d’avoir fait partie d’un cirque dans lequel le but est d’abrutir le public pour mieux lui prendre son argent. Ça a fini par me dégoûter assez profondément et abîmer mon rapport à la musique. Parce qu'au départ, c'est la musique ma passion, pas la vente de tee-shirts ou faire des interviews (mais pour toi, c'est ok parce que tu es cool !). Pour répondre à ta question, c’est pour moi à la fois un retour aux sources et un saut dans le vide, mais cela ne m’a jamais fait peur d’aller vers l’inconnu. Car c’est là qu’on voit ce qu’on vaut vraiment. Est-ce que ce projet solo est aussi un manifeste contre la compromission ? Bonne question, mais je ne pense pas. Finalement, d'une manière générale, faire quelque chose de sincère et vraiment personnel suffit à mettre en évidence l’incurie artistique des enfonceurs de portes ouvertes. ![]() Le nom SIXPENNY MILLIONNAIRE fait écho à l’album que tu avais sorti avec Greg Jacks en 2018 sous le nom THE DUKES. Pourquoi avoir gardé ce titre pour ce nouveau projet ? " Sans le sou mais riche à l'intérieur " ? En fait, c’était le titre d’une chanson de l’album de THE DUKES qui n’est jamais sorti suite au décès de notre producteur Kato Khandwala. Cette chanson, SixPenny Millionaire (pour le nom du projet, j’ai rajouté un " N " à Millionaire pour l’écrire à la Française), je la voulais comme un genre de comptine urbaine sur fond de blues déjanté à la Bob Log III. Cette expression vient de l’autobiographie de Charlie Chaplin : il nomme son ” tramp ” ainsi dans un passage, j’ai trouvé l’expression jolie et l’idée de faire quelque chose de flamboyant avec des bouts de ficelle me plaît bien. Ça préfigurait déjà mon envie de retourner au blues, donc je n’ai fait que continuer dans cette direction. Ton univers mélange un blues brut, du hip-hop industriel, et une forme de rage urbaine. Comment tu définirais ton son aujourd’hui, avec un peu de recul ? C’est un mélange de delta blues, de rock et de hip-hop. J’ai finalement réussi à allier trois de mes passions (il y en a d’autres !)… Le but était de proposer quelque chose de relativement nouveau, tout en s’appuyant sur le jeu de guitare le plus traditionnel et " oldschool ", en essayant de réinventer le concept du one-man band. Il y en a beaucoup, et d’une manière générale je n’aime pas la compétition, donc je m’efforce de créer ma propre catégorie. Tu étais seul sur la scène de l’Olympia, devant un public plutôt classic rock. C’est un contexte particulier. Qu’est-ce que tu retiens de cette soirée en première partie de BLUE ÖYSTER CULT ? J’avais de l’appréhension car le projet était supposé écumer les bars avant d’en arriver là… Mais heureusement je suis très bien entouré et j’ai quand même un peu de métier donc tout s’est bien passé. Cela dit, j’ai quand même eu un peu de stress en amont, qui s’est évaporé dès que j’ai constaté que le public de BÖC était plus que réceptif à ce que je fais ! Les premières parties, ça n’est pas évident, surtout devant une audience composée d’aficionados, mais quand on arrive à convaincre c’est purement grisant. En février, tu jouais au Supersonic pour la Saint-Valentin, puis à Châteauroux. Est-ce que chaque salle influence ton rapport à la scène ? As-tu la même intention partout ? Oui, même si évidemment je m’adapte un minimum. Mais en gros, lors du concert, je vous invite chez moi donc je suis un peu dans ma bulle par moment ! Cela dit, cette formule permet une convivialité qu’il est très difficile d’avoir avec un full band. Le set à l’Olympia était très visuel : cette lumière fixe imposée derrière toi, l’ambiance presque spectrale… Est-ce que tu travailles sciemment cette imagerie urbaine et mystique, ou est-ce que tu laisses une part au chaos ? Pour l’instant, il n’y a pas de show lumière en tant que tel. Mais j’ai beaucoup réfléchi à l’aspect visuel : par exemple, à l’instar de TYPE O NEGATIVE, je veux que la couleur rouille présente dans tous les visuels soit caractéristique du projet. Cela me plaît de développer une symbolique qui ait du sens pour moi en espérant qu’elle trouvera un écho chez les autres. Par exemple, le t-shirt de la tournée fait figurer une illustration provenant d’une assiette commémorative de la sidérurgie à Longwy qui appartenait à mes grands-parents, avec le slogan " avec le respect du travail des anciens ". Cela s’applique aussi au blues ! ![]() Le public semble conquis malgré la moyenne d’âge assez élevée. Est-ce que ça te touche particulièrement de voir des publics pas forcément acquis vibrer à ton univers ? Forcément. L’avantage des publics " matures " c’est qu’ils savent pourquoi ils sont là, ils aiment la musique. Donc quand j’arrive à les convaincre, ça me fait très plaisir. Tu utilises un vieux téléphone orange en guise de micro pour certains passages. Pourquoi cet objet-là ? Qu’est-ce qu’il symbolise ? C’est la petite touche écologique : recycler des objets pour faire du neuf, entre tradition et modernité comme dirait l'autre. En l’occurrence, ce téléphone à cadran bidouillé me sert pour faire des effets de stutter sur le son de ma guitare. Il y a aussi cette boîte de conserve de beans Heinz sur scène. C’est un clin d’œil à Tom Waits, à l’Amérique trash, à Warhol ? Le message, c’est plus de dire que n’importe quel objet peut servir à faire de la musique. Et qu’on peut faire des choses chouettes avec un budget très raisonnable. J'ai cru comprendre que tu allais sortie 2e EP pour fin 2025. Quelle est la continuité ou la rupture avec le premier ? La musique a déjà évolué et le 2ème EP, qu’on est en train de concocter avec mon binôme Julien Tota, promet d’être au-dessus du premier artistiquement. C’est normal : il faut du temps à un projet musical pour vraiment trouver sa personnalité. Par exemple, j’ai beaucoup travaillé le son de la guitare et je crois que j’ai trouvé la recette que je voulais. En gros, avoir à la fois un son électrique et acoustique, et c’est plus compliqué qu’il n’y paraît… Peux-tu nous parler des featurings à venir sur ce deuxième EP ? D’autres voix, d’autres textures… une manière d’ouvrir encore le projet ? Ou juste toi en solo ? A priori, pas de guests sur le 2ème EP, mais j’ai quelques idées de personnes avec qui j’aimerais collaborer. Je pense que je ferai ça pour le 1er album sur lequel on va commencer à travailler en 2026 en parallèle de la tournée. Ton premier EP " Grime Pusher " va sortir en vinyle, accompagné du second (encore une fois si les internets disent vrai). Pourquoi ce choix de réunir les deux ? Tu les penses comme les deux faces d’un même disque ? C’est vrai ! Et c’est surtout une histoire de coût, presser un seul EP en vinyle revient à perdre pas mal de sous… Tu fais tout seul sur scène, mais musicalement, tu restes très connecté : Dirty Deep sur " A Reason To H8 ", des featurings à venir… Tu te considères toujours comme un " groupe ouvert " ? J’aime bien faire de la musique avec les gens que j’apprécie et respecte, tout simplement. J’essaye de créer une petite famille de gens sûrs autour de ce projet. J’ai croisé certains de tes anciens comparses à l'Olympia, un featuring, une collaboration, est-elle envisageable ? Tout à fait, qui vivra verra ! Dans ta carrière, tu as traversé pas mal de chapitres. Est-ce que SIXPENNY MILLIONNAIRE est une synthèse ou une rupture totale ? C’est simplement la suite du fil d’Ariane que je continue à suivre. Vers où, vers quoi ? Aucune idée, et c’est ce qui me fait rester jeune ! " Avec le respect du travail des anciens " mais tout de même avec une certaine modernité ou tu parlais d'une vraie distillerie ? Je n'ai pas vu les SIXPENNY Minionnettes... pour les prochains concerts ? Patience, j’attends ma licence IV sous peu ne t’inquiètes pas ça va arriver. La question que j'aurais dû te poser ? Et sa réponse ? " Tu n’as pas honte, à ton âge ? ". Si, mais on ne se refait pas. Le mot de la fin ? Qu’on se le dise : à l’instar d’Alexandre Astier, " je ne travaille plus avec des connards ". ![]() |