Bruit


Interview réalisée par Djaycee par mail en Octobre 2018.


JC : Matthieu, j'ai l'impression que ces derniers temps tu es là où on ne t'attend pas. Tu as quitté PSYKUP, tu es revenu pour l'album assuré la promo de la tournée et du DVD live. Puis te voilà en solo, sous ton nom comme pour tomber les masques et nous livrer des textes plus personnels.
MM: Oui, j'aime bien être là où on ne m'attend pas. Ce n'est pas un calcul. C'est juste de la curiosité et une envie permanente de chercher plus loin, de chercher ailleurs, des fois encore plus profond à l'intérieur. David Bowie disait : Je ne fais pas de changements pour confondre qui que ce soit. Je cherche juste. C'est ce qui me fait changer. Je suis juste à la recherche de moi-même. (...) Si vous vous sentez en sécurité dans la zone où vous travaillez, c'est que vous ne travaillez pas dans la bonne zone. Je me reconnais bien là-dedans. Je suis parti de PSYKUP en 2009 quand la musique du groupe devenait à mes oreilles trop cérébrale et plus assez spontanée. Et je suis revenu pour le nouvel album de 2017 car la musique était à nouveau plus spontanée et moins cérébrale ;-) CQFD ! Dans ce qui nous concerne aujourd'hui avec ce projet solo, c'est en effet une volonté de ne plus se cacher derrière des patronymes et de s'assumer en capitaine du bateau, avec sa vision du truc, et ses textes, les plus personnels. Une idée de remettre la voix et les mots au centre du projet musical. Chercher une réelle écoute attentive.

JC: Cet EP frappe par la distance que tu as pris par rapport à tes anciens groupes. Tu le positionnes tout de même dans la lignée du dernier AGORA FIDELIO, " Bagdad les illusions d'une route ". Le fait que tu te mettes plus à nu est néanmoins palpable, il y a plus de " je " et de " nous ".
MM: C'est une bonne analyse. J'assume le " je " et le " nous " avec des histoires vraies, vécues dans la chair. Il y a eu une distance en effet. Une grosse période de remise en question de ce que je voulais vraiment transmettre. Et tout en assumant à 100% tous mes groupes, anciens ou pas, je me livre là vers une sorte de suite de ces " Illusions d'une route " au sens où je retrouve ce désir de poésie en français. Cette volonté de parler dans sa langue maternelle avec le moins de barrière possible dans les yeux de l'auditeur.
JC: C'est assez étonnant de commencer un EP par " Bonjour, je suis mort " ; le thème de la finitude et de la mort est assez récurrent. C'est pour mieux renaitre ? se réinventer ?
MM: Oui et non, car il ne s'agit pas d'une mort réelle dans la chanson. Il y avait de la provocation en revanche, dans cette phrase, une volonté de heurter les oreilles par une phrase absconse vu qu'elle ne peut pas être prononcée par quiconque, de fait. C'est une chanson avant tout sociale et politique. A certains moments, certains sombrent dans une sorte de mort sociale où ils vont se sentir exister par la haine de l'autre, en vivant une vie par procuration qu'ils s'inventent, qui n'est pas la leur. Il y a une volonté sous-jacente sur tout l'EP d'apaiser toutes ces colères, de faire se rapprocher ces contraires, de rassembler ceux qui croyaient trouver solution dans l'adversité et la violence.


JC: Alors que les artistes semblent plus se référer dans leurs chansons aux atrocités de 2015, tu préfères te situer en 2001 et plus précisément le 21 septembre à 10 heures 17 précises. C'est un évènement qui semble gravé en toi et tu as préféré l'aborder sur le thème du refus du rejet de l'altérité et des réponses faciles à apporter au problème, pourquoi ?
MM: Il n'y a pas de référentiel ni de classement dans les traumatismes de 2001 ou de 2015. J'ai simplement écrit une chanson à l'époque sur cette explosion d'usine car à ce moment là j'ai trouvé les mots. Peut-être un jour les trouverai-je pour parler de 2015 ou d'autre chose. " 10h17 " est surtout une chanson à double-entrée où toutes les phrases ont été pensées pour avoir à chaque fois deux significations. L'une sociale, compréhensible facilement par le prisme de l'explosion et des conséquences sociales qui en ont découlées, ce rejet de l'altérité dont tu parles, les possibles réponses politiques faciles, etc. Et l'autre signification plus humaine, où je parle d'un groupe humain, il peut être un groupe d'amis, un couple, une famille, et ses déchirures. Les gens qui s'isolent, blessés, par peur, ou ceux qui jugent, par méconnaissance, par oubli, pour se rassurer eux-mêmes.

JC: Parlons du Clip, il est sombre, en noir et blanc mais il en ressort des images de cœur et d'enfants qui jouent sur la place. Comme pour dire que l'on se relèvera ? On y voit aussi un enfant qui joue avec un avion, c'est pour signifier l'insouciance ou tu as voulu incruster cet horaire dans le contexte du 11 septembre ?
MM: Ce n'était pas voulu pour l'avion ! Mais pourquoi pas ;-) En tout cas, la vidéo de " 10h17 ", montée par Jouch, joue sur le thème du sensible par les détails. C'est pour cela qu'on a travaillé ensemble. Jouch est très fort pour cela. Et ce sont des choses que je veux mettre en avant, dans mon écriture, que ce soit les bouquins ou les chansons. Les détails qui deviennent des symboles ou des souvenirs impérissables. Je file aussi ce travail sur l'enfance que je poursuis depuis mes débuts d'écrivain " adulte ". C'est très psychanalytique tout ça, mais c'est tellement évident que tout se joue à ce moment-là. Et on récolte ou on paye le reste durant toute notre vie !

JC: C'est le moment de faire un peu d'autopromotion, tu fais appel au crowdfunding pour finaliser ton album et étonnamment tu le fais sur Microcultures qui est un site de niche je trouve par rapport aux mastodontes que sont Ulule ou KissKiss. Qu-est-ce qui motive ce choix ?
MM: Justement la volonté de me diriger vers une structure à taille plus humaine, fondée par des passionnés de musique à la base. MicroCultures se dirige à terme vers une structure d'accompagnement artistique, et plus spécialement une plateforme de crowdfunding. Ça a des désavantages de passer par une petite structure où les gens ne sont pas " inscrits " au préalable comme ils peuvent l'être sur les mastodontes dont tu parles et que je respecte complètement par ailleurs, mais c'est un risque que je voulais prendre, par conviction.
JC: Parle nous des contreparties pour que les lecteurs puissent t'aider à financer l'album ?
MM: Il y a en a pas mal, ça commence à 9€ pour les petits-portefeuilles. Il y a toujours un lien avec la musique bien sûr, ou l'écriture vu que je couple la sortie de l'album au troisième livre que j'ai fini d'écrire : " Là où convergent les points cardinaux ". Je peux ainsi écrire pour les gens, c'est un exercice que je prends très à coeur et qui a bien fonctionné par le passé. J'étais surpris de voir l'émotion des gens quand tu leur ponds un vrai poème ou une chanson entière sur la personne qu'ils aiment, sur leurs parents, ou autre, parce que eux n'arrivent pas à trouver les mots... c'est fou et c'est génial à la fois. Il y a des goodies plus habituels comme des polos brodés et aussi à signaler des peintures sur toile de Tito Vorzburg, un ami à moi qui est peintre et incroyablement doué, comme perché dans les nuages ! C'est à la fois fauve et abstrait, des fois figuratif, en tout cas très coloré et texturé. Le genre de gars qui fait les Beaux-Arts tout en se foutant de la gueule de certains de ses profs le jour de l'examen pour finir avec les meilleures appréciations et quitter le business de la peinture pour peindre de son côté 120 toiles avec ses propres convictions. Ses toiles là doivent être vues par le maximum de gens !


JC : On te sent plus mur mais aussi plus libéré, le " pourquoi papa tu chantes fort ? " c'est du vécu ?
MM: Haha ! Oui et non. Mon fils n'a jamais prononcé cette phrase mais j'ai cru la lire dans ses yeux à des moments. Ce n'est pas évident d'expliquer à son fils que papa chante dans cette chanson où les messieurs crient ou tapent très fort sur des tambours ;-) Au final, je crois que je suis arrivé à lui expliquer comme il faut car il écoute autant MASTODON que ALDEBERT ou les CRANBERRIES ;-)

JC: Sur " Volga ", tu parles " d'un fleuve comme projet " cela semble assez personnel et introspectif, tu peux nous en dire plus ?
MM: C'est le pendant de " Bonjour Je Suis Mort ". La société moderne nous pousse inconsciemment à vivre des vies où l'on ne sait plus le but de notre existence. Pourquoi on fait ça ? Pourquoi on bosse pour ce patron qui n'en a rien à foutre de produire des trucs de mauvaise qualité tant que la marge est bonne ?... Il faut juste produire, et exister. Subsister. Acheter. Survivre. Rire le soir devant Hanouna, et baiser le samedi soir avec un peu de chance car on est trop crevés pendant la semaine. Qui a demandé une telle vie ? Personne. Je ne pense pas que les gens soient cons, je veux rester philanthrope. Je suis persuadé que n'importe qui peut développer des aptitudes humaines et sociales formidables si le contexte le permet ou l'exige. Je pense en revanche que notre société est malade et qu'on va dans un mur. Il faut freiner. La vie ne doit pas être ce long fleuve tranquille.

JC: Que doit-on attendre de l'album ? Un peu plus de son organique ? Tu cites à la fois REGIANI, BREL et METALLICA dans la présentation de l'EP. Ces influences sont-elles compatibles ou tu laisses de côté METALLICA pour cet album ?
MM: Je ne cite pas du tout METALLICA pour les influences. C'est la biographie qui dit que ma trajectoire particulière fait que je connais autant REGGIANI que METALLICA ;-) Pour moi, les deux ne sont pas antinomiques. Ce n'est pas évident d'assumer ça en France, mais je tiens ce discours. On peut écouter des musiques dures, extrêmes, et être touché par Robert Guédiguian, par Arthur Rimbaud, par Jacques Brel. Je suis pluriel, comme beaucoup de gens, sans être du tout schizophrène. Tout est au contraire je trouve, assez cohérent dans mon parcours, pour qui prend le temps de l'analyser un petit peu. Et on pourra trouver sur le EP " Longue Distance " de la " chanson moderne ", j'ai envie de dire. Des textes en français chantés sur du piano et de la guitare, composés par Arnaud Barat, mon magnifique complice, avec un arrangement électro réalisé par le talentueux Stéphane Mourgues alias " DJ MOULE ". C'est plus noir que MAGIC SYSTEM, c'est sûr, mais c'est aussi lumineux, et surtout humain et apaisé.