Merzhin


Nous retrouvons les MERZHIN à quelques jours de la sortie de leur album dans un hôtel parisien. L’occasion pour remonter le temps et échanger autour de leur carrière jusqu’à arriver à " Nomades " dernier album, aussi sombre que la pochette qui l’illustre. Un album viscéral, brut et tristement ancré dans son époque. L’occasion de parler aux Bretons qui sont en lisse pour reprendre le drapeau laissé à terre par NOIR DESIR. Un entretien sans fard avec les Bretons dont l’album marque une étape importante dans une carrière déjà respectable.

JC : La pochette et l’artwork interpellent, on est bien loin de la pochette colorée et insouciante de vos premiers disques. On vous sent plus sombre et moins insouciant. L’artwork est sombre comme notre époque, avec le côté nomades et tribal des tatouages ?

Pierre (P) : cet album pose pas mal de questions et comme tu parles de la pochette, c’est aussi mettre en avant ce qui semble essentiel dans ce que nous avons pu vivre ou ce que nos grands-parents ou nos parents ont pu nous transmettre. C’est un côté échange, aussi et brassage des cultures. Cela représente cela aussi. Mais effectivement il y a un constat assez désabusé, nous sommes aussi de notre côté moins dans l’état d’urgence. Il y a 20 ans, nous étions jeunes, nous avions un côté plus insouciant, plus festif et la conjoncture n’était pas aussi catastrophique. Maintenant nous sommes pères de famille, on a 40 ans…
Jean-Christophe [MERZHIN] (J) : on se pose des questions en tant que citoyens sur tous les problèmes actuels.
P : et on sent dans l’urgence de raconter cela dans notre musique. Cela ne date pas de cet album, cela date depuis longtemps mais cette fois-ci c’est plus frontal pour faire passer les messages.

JC : je voulais partir sur un " track by track " de l’album mais tu parles du fait d’être père, je pense que nous sommes tous père autour de la table et je saisi l’opportunité pour aller directement sur la chanson " sans nous ", je la compare un peu à " Cendrillon " de TELEPHONE, où plus le temps passe, plus la situation se dégrade. A la fin, cela se fait sans nous et la terre n’est plus qu’un rocher vide, c’est votre constat ?
P : c’est un constat apocalyptique pour le coup. C’est un peu la suite d’un morceau qu’on avait sur l’album précédent qui s’appelle " et après ? " et où on posait la question justement sur le même thème, que se passe-t-il après ? Car si on continue comme cela, c’est ce qui nous attend, la fin… on a l’impression que la prise de conscience est bien trop longue parce que tout cela va bien plus vite qu’on ne le pense. Quand on regarde le monde scientifique et que l’on écoute les infos, tous les jours tu as une mauvaise nouvelle.
JC : on ne pourra rien contre les lobbies.
P : c’est bien le problème.
JC : et il y a une désinformation qui fait que nous sommes désormais au pied du mur. Revenons sur le morceau introductif, " Standing Rock " on a l’impression que cela vous correspond aussi car après 20 ans de carrière, vous êtes encore là. Le thème parle des Amérindiens ?
P : encore une fois, il y a des cultures et des gens qui se battent pour l’environnement. Je ne sais pas si tu connais le sujet ?
JC : j’ai fait une recherche avant de venir mais je te laisse en parler c’est important.
P : il s’agit d’un Pipe-line, c’est Trump qui suit ce projet-là. Il veut faire passer ce pipe-line sous le Missouri et sous les réserves indiennes, avec pour conséquence la pollution et la destruction des terrains des Amérindiens. Ils ont un slogan " Mni Wiconi " [" l’eau est la vie ", en langue sioux) ndlr]. On a pris cet exemple là car c’est exactement pour personnifier le travail des lobbies contre toute forme d’humanisme ; le pouvoir de l’argent, du profit à tout prix, en oubliant les valeurs humaines. Il y a des gens qui se battent et nous souhaitons les mettre en lumière, mais ce n’est pas le seul exemple.
JC : vous prenez d’autres exemples des Irlandais…
P : oui ça c’est plutôt sur " Nomades ".
JC : effectivement quand j’ai écouté ce morceau qui est avant-coureur de l’album, je me suis demandé ce que le MERZHIN que je connaissais il y a 20 ans faisait avec NO ONE IS INNOCENT. Finalement j’ai grandi avec vous et notre prise de conscience est importante, les problèmes ne sont plus les mêmes.
P : et il n’y a plus d’insouciance…
JC : il y a aussi cette volonté de transmettre quelque chose aux prochaines générations. J’ai été frappé sur " Nomades ", le titre est au pluriel et pourtant tous les exemples que vous citez sont au singulier. Est-ce qu’il faut partir de l’exemple pour atteindre la pluralité ? les nomades sont au pluriel dans les titres mais on suit l’itinéraire d’un nomade. Et cela se ressent dans le clip avec tous ces visages qui passent autour de vous. Le clip lui aussi est assez sombre.
P : quand je dis " je " c’est " nous ", MERZHIN, c’est juste une formule de style, mais c’est la confrontation entre ces différentes formes de nomadismes dans le morceau, et finalement les musiciens sont aussi nomades car on bouge tous le temps.
JC : c’était une de mes questions car tu associes les musiciens aux tribus nomades.
J : on fait partie des nomades.
P : on se confronte à différentes populations et au brassage culturel. La première partie du morceau parle de cela et on devrait développer ce brassage plutôt que de se replier sur nous-mêmes. Le nomadisme a plusieurs formes. Il y a le nomadisme voulu, la recherche de l’échange, et le nomadisme forcé que l’on voit malheureusement de plus en plus avec les migrations qui sont forcées à cause des guerres, des lobbies qui détruisent tout pour le profit. Et plus ça va aller, plus les populations du sud vont monter au nord, c’est un problème qui en plus ne fait que commencer. Et voit bien que déjà, on ne veut pas le gérer nous ici. On constate à cause de cela aussi la montée des fascismes, dont on fait aussi référence dans le morceau. C’est pour cela que ce morceau résume aussi parfaitement la pensée de l’album.
JC : il est excessivement frontal, je l’ai qualifié de brut et abrasif.
P : c’est tout à fait cela.
J : c’est ce que l’on voulait pour que les gens réagissent.
P : C’est pour cela aussi qu’on a proposé le morceau à KEMAR, cela fait partie des thèmes qu’il aborde. Et ils ont aussi toujours été dans cette façon de s’exprimer et là-dessus on se retrouve. Alors on lui a proposé le morceau et il n’a pas mis longtemps avant d’accepter de venir chanter sur le morceau. JC : ce qui est étonnant c’est qu’il s’est collé au morceau et sur les paroles et la musique. Il n’a pas écrit lui-même sa partie ?
J : on y avait pensé au début d’écrire le morceau ensemble.
P : finalement on lui a proposé le morceau fini et il le trouvait déjà très bien.


JC : sur " BUK " il est un peu question de schizophrénie entre l’auteur
P : cela fait évidemment référence à Bukowsky, c’est un choc littéraire que j’ai eu étant plus jeune. C’est un auteur qui ne comprend pas comment on peut vivre de la façon dont on vit, déjà dans les années 60/70, il parle de tout cela et il ne comprend qu’un homme se lève à 6h30 du matin, et va chier se laver les dents pour aller produire pour un Trump qui en plus estime qu’il doit être content d’avoir un travail. Je me retrouve dans ce discours qui plus est avec une écriture hyper crue, c’est pour cela que le texte de la chanson est écrit comme cela.

JC : je reviens sur le côté brut du disque car même si votre site internet est en " .Bzh " on a l’impression que la partie folk de vos débuts a disparu. Il y 3 instrus sur le disque, comme pour calmer le jeu. Il s’agit de morceau avec des bombardes et des instruments bretons, comme une façon de revenir aux racines, de remettre un peu la balance du côté folk alors que l’album est très rock ?
P : on est passé par pas mal de périodes. A une époque, il n’y avait plus de bombarde, il n’y avait que des cuivres. On a tout de même voulu se recentrer là-dessus. Comme tu le dis c’est interlude, cela permet de faire une pause dans le disque.
J : c’est un peu notre clin d’œil à la Bretagne et à notre culture, et pour montrer que le monde n’est pas cloisonné et pour montrer que la Bretagne peut tout à fait se marier avec le rock.

JC : sur votre bio, vous citez NOIR DESIR comme influence, je pense aussi parfois à VIRAGO sur le côté " à fleur de peau ".
P : c’est vrai.
JC : malheureusement pour BERTRAND CANTAT, la place de NOIR DESIR sur la scène rock est laissée vacante. On sent qu’il y a une reprise en main du rock et notamment chez vous sans les fioritures bretonnes. Notamment sur " Encore raté " qui fait penser à « l’homme pressé » de NOIR DESIR, on n’est plus dans les années fastes de l’époque désormais on travaille, on produit. Mais il y a une urgence qui est servie par le rock. On pense aussi à EIFFEL qui sont un peu sortis des radars.
P : ils vont revenir mais c’est vrai on nous fait la référence à NOIR DESIR. En même temps, on des fans aussi de NOIR DESIR donc à un moment cela doit se ressentir dans les compos. C’est du rock français. On parle de NOIR DESIR ? mais je pense aussi à NO ONE IS INNOCENT, à LOFOFORA, il a quand même pas mal de groupes qui ont un discours vraiment dans le fond. Il y a un titre de LOFOFORA, " Le fond et la forme ", c’est ce qu’on essaie d’avoir. C’est pour cela aussi qu’on sert nos textes avec de la musique dure, car si on les accompagnait de folk, je ne suis pas sûr que cela collerait. Inconsciemment on arrive à une musique plus brute. Il y a quand même les instrus qui permettent de donner du souffle lors du live. Un live, cela doit aussi être un divertissement. Finalement, on a aussi ce discours là sur scène, même si on laisse les gens se faire leur idée. On n’est pas sombre, pas dans notre coin, sur scène on profite de la vie et on se fait plaisir.
JC : petit point politique sur le disque, un titre " on marchera ", qui doit faire écho au parti du président actuel.
J : tout à fait.
JC : j’ai écouté le disque et lu les paroles. Finalement ce terme " on marche ", on a l’impression que l’on ne sait pas où on va. Mais je vous laisse la main pour commenter le texte.
P : on a une vision, après cela ne date pas de Macron, les politiques sont un microcosme de gens qui décide du sort de tous les peuples, pour nous c’est presque une secte et c’est comme cela qu’on les décrit dans le morceau.
J : une sorte de gourou.
P : oui chaque pays à son gourou, Macron, Trump, Etc. on se demande finalement qui dirige, les politiques ou les lobbies. Avant qu’il soit élu, on savait qu’il devrait payer ses dettes aux lobbyistes qui l’ont fait élire et qui ont financé sa campagne. On voit bien que pour toute sorte de lois ou d’amendement les députés d’ " en marche ", à notre sens votent sans même réfléchir. Nous en avons la confirmation ces derniers jours dans notre circonscription, un député " en marche ", qui a voté pour le maintien du glyphosat et qui ensuite a essayé de se justifier.
J : ils ne savent pas ce qu’ils votent, ce sont des moutons au service d’un gourou.
JC : quand j’ai interviewé les NO ONE IS INNOCENT, je leur ai demandé pourquoi ils tapaient sur Trump et pas sur macron et ils m’avaient répondu " on attend de voir même si on n’a pas beaucoup d’espoir ". En effet Macron, venaient avec des personnes de la société civile et on pouvait penser que cela allait changer.
P : ils sont tous comme cela, ils nous vendent de l’espoir. Sarkozy c’était pareil. On dirait que personne ne souhaite faire quelque chose. Dans " on marchera " effectivement on ne tourne pas autour du pot…
J : on va avoir des problèmes.
P : en même temps si cela peut faire parler…
JC : c’est pour cela que j’en parle car il y a une sorte de hiatus entre votre position et celle de KEMAR.
J : le texte a été assez vite écrit après l’élection et nous n’avions pas beaucoup d’illusion.

JC : passons sur le titre " le joueur et l’affranchi ", on est plus dans les références cinématographiques.
P : c’est tiré de deux films, " Casino " et " Les affranchis ".
JC : dans un contexte dominant/ dominé.
P : oui c’est un peu cela, maintenant que tu le dis. Mais c’est surtout une référence à de très bons films.


JC : il y a un concert à la Maroquinerie qui est prévu en novembre. Par rapport à ce qui se faisait il y a 10 ans, on a l’impression que le rock est désormais cantonné dans des salles plus petites.
J : c’est plus dur de remplir des salles.
P : la musique n’est pas différente des autres lobbys. Aujourd’hui il n’y a plus de radio qui passe du rock. Partout c’est le règne de la forme sur le fond. Certains remplissent des Zéniths ou des Bercy tout de même.
J : c’est le pouvoir des médias. Les gens vont au concert de ce qu’ils entendent à la TV ou à la radio. Il n’y a plus que les passionnés qui se rendent aux concerts rock.
JC : il y a MASS HYSTERIA qui va remplir un Zenith.
P : oui cela c’est bien – je ne parlais pas d’eux quand je parlais des Zéniths- c’est une bonne chose.

JC : j’ai fait le tour de mes questions, alors il y toujours la question à la con : " quelle question je ne vous ai pas posé et à laquelle vous souhaiteriez répondre ? "
P : ah on nous déjà fait le coup tout à l’heure et on n’a pas su répondre.
" êtes-vous fiers de votre travail ? " serait une bonne question.

JC : j’ai été impressionné de vous revoir après les années qui m’ont éloigné de la musique et aussi de revoir que les groupes que j’aimais étaient toujours présents. Je pense que vous pouvez être fiers de votre carrière. Mais dans des salles plus petites.
P : j’en parlais à Nico de TAGADA JONES, et effectivement ils ont une nouvelle base de jeunes qui viennent les voir car ils en ont ras-le-bol de ce qu’ils entendent à la TV à la radio. Alors ils vont en concert. C’est pour eux un défouloir.
JC : cela est peut-être avant-coureur d’une crise comme à la fin des nineties.
P : oui en effet. Il y a un retour des labels indépendants. Nous avions signé sur des labels indé qui ont été rachetés un par un pour finir dans une major. Ils imposent un moule dans lequel on ne peut pas rentrer.
JC : il y a en effet un sursaut d’indépendance.
P : par chez nous en Bretagne, il y a plein de petites structures qui se montent par ce qu’ils ne se retrouvent pas dans le système des majors.

JC : merci à vous pour cette interview, j’espère que j’ai fait un bon tour d’horizon du disque.
P : c’est parfait on a fait un bon tour.
J : ça nous va merci à toi.
P : Merci à toi pour tes questions.

Merci à MERZHIN pour ce bel album et la possibilité d’échanger sur les différents thèmes que celui-ci aborde.
Merci à Verycords, Sabrina et Manon pour cette confiance et le fait de réaliser à chaque fois des rêves de gosses.