Gontard


Interview faite par mail par JC le 18 avril 2019


JC : Merci de nous accorder cette interview. Tu es un artiste engagé et à part, tu éructes le quotidien, tu mériterais presque de t'accompagner avec métal qui est notre style privilégié chez NAWAKPOSSE.
G: Héhé ! J'éructe pas, je chronique avec vigueur... Et alors je crois que parmi mes milliards de disque je n'en ai aucun de métal, je reste à la porte de ce style, tu me conseilles quoi pour commencer ? Après j'aime bien casser le code de l'attendu, chanter les dents serrées sur une musique moins lourde. J'ai pas fait une croix sur le Hall of Fame de la chanson française...

JC : Le nouveau disque malgré une pochette colorée semble encore plus cynique et sombre que le précédent.
G : Je n'aime pas le cynisme, qui est une forme aigue du détachement, je me sens au contraire percuté par tout ce que je vis et j'observe. Après, le disque peut être jugé sombre mais beaucoup moins que notre quotidien. La pochette est arrivée comme une évidence, le disque était là, les instrus étaient forts mais pop et les textes chargés mais intimes. Les diplodocus et le volcan, ça donnait un aspect " le chaos expliqué à nos gosses". Thibault Pétrissans, l'auteur de ce dessin est tout de suite rentré dans la combine.


JC : Une de tes chansons s'appelle " chanteur de variété " comme une insulte lancée avec le majeur en l'air. C'est une insulte " chanteur de variété " ? Dans quelle catégorie classes-tu ta musique ? Est-elle inclassable ?
G : Non pas du tout, j'ai beaucoup d'affection pour les chanteurs de variétés 70's, ils étaient les plus grands détraqués du monde, leur équilibre était fragile, j'aime bien l'aller-retour galère du chanteur-raté et vie conjugale. Dans cet album qui se projette en 2029, la figure du chanteur de variétés est essentielle, une partie de moi doit aspirer à cela. Ma musique oscille entre tout ce que j'écoute, globalement mélo, tendue, lourde au niveau des beats (big up Vincha/ Hunch). Hybride si tu veux.

JC : tu te fais un chroniqueur de la réalité sordide. Un quotidien régional à toi tout seul de cette ville fantasmée qui porte en son nom sa propre déchéance " Gontard-Sur-Misère ". Une sorte de rubrique des faits divers condensée sur un LP. Tu m'as dit récemment, " tout est là devant nos yeux... " c'est un peu nier ton travail de recherche et de rédaction, non ? Le fait de nommer les sportifs qui n'ont pas gagné à un championnat régional est génial mais tellement triste et tu le fais avec beaucoup d'aplomb, comment fais-tu ?
G : Effectivement, je me suis plongé dans les canards locaux d'il y a 4 ou 5 ans pour jouer avec la temporalité et ne pas en être prisonnier. Très rapidement, l'imaginaire a galopé comme un lapin. Je trouve que la musique française ne se documente pas assez ou quand elle le fait masque trop les référents pour n'en garder qu'une bouillie tiède avec des mots creux. Amuse-toi à comparer les textes des " nouveaux " chanteurs français 2000 post-Bashung, ben c'est linéaire. Mais ça suffit pour plaire. Il y a évidemment des exceptions mais on les cantonne au rôle de beautiful losers.

JC : pas de gilets jaunes en 2029 ? Que des laborieux soumis ?
G : J'ai terminé d'écrire les textes de l'album en 2017, je t'avoue que la tournure des évènements (les ronds-points, les débats engagés, le cynisme des grands winners de la mondialisation etc.) m'inspirent pour la suite. Entre 2009 et 2019, il n'y a rien eu sur le champ social comme avancée ou même maintien, on a bougé pour le pire, la prochaine décennie risque de swinguer un peu plus. Il y aura des fluides nouveaux, c'est évident. Je bosse actuellement avec mes amis sur 2030...


JC : ce qui frappe sur scène c'est que tu abandonnes le côté faussement policé pour des chansons enlevées, jazzy rock mais beaucoup plus relevées que sur disque. La scène est un exutoire ? ou il y a un temps pour écouter les textes sur disque et se lâcher en concert ?
G : Exutoire, oui. Spectacle vivant, oui. On se regarde, on s'interpelle, on se sourit etc. Les arrangements différent selon que je me produise en full-band (rock) ou trio (électro, chanson, hip-hop) mais l'énergie et la manière de servir les textes sont communes je crois.

JC : pourquoi ce masque de lapin et cette blouse ? C'est pour rappeler que tu es prof dans le civil ?
G : Le masque tombe de plus en plus rapidement dans le set et la blouse je l'ai paumé aux 3 baudets je crois, tu me l'as pas retrouvé ?

JC : sur " prolétaires ", tu décris le cœur des villes de moyennes que sont les usines qui ferment, les reclassements, le chômage. " Que fera papa sans sa pointeuse ? " C'est hard comme texte, tout tourne autour du travail ? Le travail rend-il libre comme disait certains envahisseurs ?
G : Y'a plus de pédagogie, on explique plus rien aux gens, un coup tu bosses, le lendemain, c'est terminé, rien de nouveau sous le soleil mais ce mouvement s'accélère et déshumanise tous les liens.

JC : Kevin Malez aurait-il un représentant en 2019 ? Pourquoi situer l'action de ce LP en 2029 ? C'est suffisamment loin pour être de la fiction et suffisamment proche pour faire peur ?
G : C'est tout à fait l'idée, je suis sur un futur proche, au-delà c'était du grand guignol il aurait fallu que je bosse sur des aspects techniques lourds (moyens de locomotion, moyens de contraception, géopolitique de ouf etc) et si j'étais resté en 2019, je devenais une figure d'opposition politique affirmée. J'ai joué avec tout ça.

JC : tant géographiquement que musicalement, on peut te comparer à DIABOLOGUM, est-ce un hasard de te retrouver sur le même label ? C'est étonnant cette co-production entre deux labels, Ici d'ailleurs avait sorti tes précédents albums, que change cette coproduction pour toi ?
G : J'ai écouté DIABOLOGUM à 16 ans puis Michniak en solo, Cloup un peu aussi, je me suis toujours trouvé plus pop qu'eux même si le talk-over et la sève est proche, la rencontre avec Ici, d'ailleurs...s'est faite par l'entremise de la souterraine, la rencontre est belle, déjà 3 albums en 3 ans, ce qui était assez tendu économiquement d'ailleurs d'où l'idée de coproduire " 2029 " avec le label Petrol Chips du grand Ray Borneo (qui joue sur scène avec moi depuis 2017). J'avais déjà participé aux albums de LOMOSTATIC, Vestale Vestale ou Bleu Russe sur Petrol Chips, le lien est évident également. Cette coproduction me laisse encore plus de marges de manœuvre pour sortir mes productions et varier les approches sans plomber le budget des copains.


JC : tu te plaignais lors du concert aux Trois baudets de ne pas passer en radio sauf avec Didier Varrod, le mal est réparé ? Ou tu es trop " réaliste " dans tes textes, tu fais peur ?
G : Je dois être dans le déni là-dessus mais j'attends toujours le moment où les programmateurs radio hocheront la tête en même temps et se rendront compte de l'accessibilité de certains titres comme Kevin Malez, Prolétaires, la fille de la mairie ou Chanteur de variétés. Quelques francs-tireurs n'hésitent pas.

JC : un des badges de promos présente une figure de Mitterrand, il y a une nostalgie, une " Ostalgie " comme tu disais avec George Marchais ?
G : Ah non j'ai pas mis Mitterrand sur un badge, fake news JC
[NDLR : après vérification il s'agit d'un post sur le compte instagram de Gontard et non pas un badge]

JC: tu as tes 500 signatures pour 2022 ou tu te réserves pour 2029 ?
G : Baron noir pour 2022 puis sur les estrades pour 2029. Y aura plus de signatures d'ailleurs, je te l'ai pas dit ça ?

JC : la question que je ne t'ai pas posée et à laquelle tu aimerais répondre :
G : " Es-tu libertin ? "

JC : merci à toi le mot de la fin ?
G : On voit ce qu'on veut voir, on entend ce qu'on veut entendre.
Merci JC !