Interview réalisée par mail par Ben avec le groupe au mois de Septembre 2018.


Bonsoir messieurs, pouvez-vous nous présenter votre groupe ?
Adrien : On est CANINE, un groupe des environs de Marseille. On fait du Screamo Post-Hardcore. Moi c’est Adrien, je chante et écris les paroles.
Yann : Je suis le batteur.
Tom : Moi je suis à la basse.
JB : Je suis le guitariste. On est là pour les vacances. C’est un peu ça CANINE, un groupe de vacances. En tout cas, pour moi qui travaille toute l’année, chaque fois que je prends des vacances, c’est pour CANINE. C’est pour ça que je dis que c’est un " groupe de vacances ".
Ok mais du coup, CANINE c’est bien un projet sérieux, pas juste un hobby de vacanciers ?
Tous : Ouai carrément, c’est sérieux.


Les noms de groupes de Screamo sont souvent issus de rituels concepts : certains ouvraient un dictionnaire et assemblaient des mots trouvés au hasard, par exemple. Est-ce que c’est la même chose pour vous, où il y a un sens derrière CANINE ?
Adrien : C’est moi qui leur avait proposé le nom. Il me semble que c’était quand j’avais regardé le film grec " Canine ", qui est très bizarre. Je trouvais juste que ça sonnait bien, en fait. Dans les groupes que j’avais eu avant, j’ai toujours essayé de trouver des significations dans les noms. Là, je me suis juste dis que j’avais quelque chose qui sonnait bien, et c’était déjà pas mal. Donc il n’y a pas de sens caché ni obscur. Juste : ça sonnait bien.

D’accord, pas de rituel étrange pour concocter un nom de scène, mais le groupe a-t-il une philosophie spécifique dans sa vision, ses partis-pris artistiques, ses textes ?
Adrien : Les paroles, c’est uniquement moi qui les écris. Après, on en parle ensemble et je sais qu’on est tous d’accord. La chose sur laquelle on se rejoint, c’est qu’on souhaite véhiculer quelque chose de véritablement positif. Je me suis dis que tant qu’à avoir une voix, je vais essayer de véhiculer des idées. Je parle souvent de mon vécu, de ce que je vois autour de moi. J’essaye d’en faire quelque chose qui parle aux gens, sans prendre un positionnement moraliste. C’est pas juste raconter ma vie, mais c’est parler de choses que je connais, prendre du recul dessus pour pouvoir écrire. Le nom de l’EP " Boiling Drops in an Ice-Cold Ocean " a pour signification qu’on n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan. Et si les gens ont tendance à penser qu’à cause de ça on ne peut rien changer, nous on pense l’inverse. Même si elle se trouve au milieu d’un océan d’eau glacé, on est une goutte d’eau brûlante qui, s’il y en a une autre, puis une autre, une autre, une autre et une autre, va pouvoir réussir à réchauffer l’eau. C’est pas juste des constats " ok c’est comme ça " mais également véhiculer des idées qui pourraient faire changer les choses : ce qu’on pourrait faire, même si c’est vraiment la merde. Et au-delà, ça rejoint la philosophie du groupe. On essaie de faire le plus de choses possible par nous-mêmes : nous composons tous les morceaux nous-mêmes, écrivons nos paroles, bookons nos tournées, faisons nos visuels nous-mêmes ou par des gens qu’on connaît et qu’on apprécie. Nous organisons aussi des concerts pour d’autres gens, imprimons le merch nous-même, et nos baffles, c’est Yann qui les a fabriqués. Si on fait un maximum de choses par nous-mêmes, c’est pour essayer de sortir du circuit des grosses industries.


Du coup, lorsqu’on a une philosophie qui a pour volonté de faire avancer les choses positivement, qui véhicule un message positif, quelle stratégie de communication adopte-t-on ? Est-ce qu’on essaie de toucher un noyau plus restreint de gens très investis, sincères et réceptifs, ou au contraire, un maximum de monde, peu importe son horizon musical et son implication dans le sens profond des messages ?
Adrien : En fait, toucher un maximum de gens ne peut pas être négatif tant que nous, nous restons sincères. On n’a pas l’ambition de devenir des rockstars, mais on a envie de faire connaître notre musique parce qu’on en est fiers. Donc tant qu’on reste sincères et dans notre démarche, je ne vois aucun souci à ce qu’on touche le plus de monde possible. Bien sûr que beaucoup qui vont écouter notre musique ne vont pas s’intéresser aux paroles, mais je me dis que si je touche déjà une personne avec mes textes, alors c’est bon. Presque à chaque concert qu’on fait, des gens qui ont lu les paroles viennent me voir et me racontent qu’elles les ont intéressé et touché.

CANINE existe depuis combien de temps ? Depuis sa création, avez-vous perçu une évolution concernant de la scène Rock / Métal, que ce soit concernant les conditions d’existence du groupe, les conditions scéniques, les processus de management, création, production, etc… ?
Adrien : On existe depuis printemps 2014.
Tom : Notre première tournée c’était il y a 3 ans, donc on n’a pas vraiment de recul sur ce point là.
Yann : On fait la majorité de nos concerts dans des structures " niches " tenues par de petites orgas. De tous temps, tout le monde a été bien reçu par ces gens là. Parce que c’est tout petit, que c’est pas des grosses salles de concerts, pas une industrie. C’est pas professionnalisé. C’est pas des particuliers mais c’est pas professionnel non plus.
Adrien : On ne peut pas parler du niveau professionnel parce qu’on n’est pas dans le réseau professionnel. Comme dit, on est dans le milieu DIY où on va booker nos tournées juste en envoyant des mails à des gens qu’on ne connaît même pas, ou à des amis. Ça fonctionne toujours à la confiance et on n’a jamais eu de mauvaise expérience. On a toujours été bien reçu.

Du coup, voulez-vous rester dans ce circuit là ou c’est parce que vous n’êtes pas ce groupe de Pop bankable que vous ne vous " professionnalisez " pas ? Feriez-vous la première partie d’un gros groupe de Zénith, même s’il n’était pas spécialement cohérent avec votre démarche artistique ?
JB : Ça va dépendre de la philosophie du gros groupe.
Adrien : Dans l’idée, on n’est pas contre. Mais parmi les conditions, je pense qu’il faut quand même que ça soit en accord avec nous, avec ce que l’on veut véhiculer et notre manière de penser. Il y a aussi des lieux autogérés qui sont énormes et où plusieurs milliers de personnes peuvent venir assister à ton concert. Ça peut être super chouette. Et après, tu as les Zénith et autres grandes salles où ça n’a rien à voir concernant l’organisation et les conditions de travail, même si sur scène, ça doit être chouette également.
Tom : Le personnel est bien plus mis sous pression.
Yann : On n’a jamais essayé quelque chose de professionnel, et peut-être qu’on n’essaiera jamais.

Et concernant votre évolution personnelle ?
Yann : On a toujours conservé le même line-up. Par contre, il y a eu une évolution entre la démo, le premier EP et celui qui vient de sortir. Principalement concernant Tom (basse) qui avait envie de faire quelque chose de moins violent musicalement. Il voulait qu’il y ait de l’énergie, mais quelque chose de moins sombre que maintenant. Le vrai changement artistique vient de ce choix, qu’on a suivi sans problème. Pour moi, l’évolution du groupe vient de là, concernant la composition.
JB : D’autant plus que ça coïncide avec le fait qu’Il y a 2 ans, on n’a pas fait grand chose parce que j’étais parti à l’étranger pendant un an, pour finir mes études. Et pendant cette année là, ça a vraiment été un tournant pour moi, parce que je me suis mis à écouter d’autres genres musicaux, pour la composition, pouvoir partir dans une autre direction, me réinventer.

Donc vous êtes passés de quel(s) registre(s) à quel(s) registre(s) ?
JB : À l’époque, on était largement plus dans le Hardcore, je dirais.
Les autres : Ouai ouai !
Adrien : Dans le Post-Hardcore.
Yann : En fait, avant CANINE, Tom, JB et moi avions déjà un groupe ensemble, APPLE JUICE, mais avec une autre personne au chant. On avait commencé ce groupe là quand on était gamins et on était plus dans un registre Punk Rock. On vient de là, parce que c’est ce qu’on a commencé à écouter étant jeunes. Et au fur et à mesure, on a dérivé vers des choses plus Hardcore. Surtout vers la fin de ce groupe. Puis, il a splitté et CANINE est né, parce qu’on a voulu continuer à faire de la musique tous les 3. Et on a récupéré Adrien au chant.


Y’a des choses concernant APPLE JUICE trouvables en ligne ?
Yann : Ouai, carrément ! Les 3 EPs sont trouvables en ligne sur Bandcamp (applejuicejuice.bandcamp.com).
Tom : Et également le split avec l’ancien groupe d’Adrien, qui n’est jamais sorti.
Yann : Au départ on était partis sur une base très Hardcore, très sombre dans l’idée et ça s’est éclairci par la suite. Mais l’idée de véhiculer quelque chose de positif était là dès le début. Donc malgré la musique sombre, c’est devenu plus positif.
Adrien : J’ai vraiment vu la différence aussi, parce qu’ils composent les morceaux tous les 3. Et en 4 ans, leur manière de composer est devenue beaucoup plus efficace. Ils composent quelque chose et quand ils m’en font part, ça m’a l’air parfait. Ils s’affirment beaucoup plus qu’au début où je disais plus que telle ou telle partie pouvait être plutôt comme ça, tandis que maintenant, je trouve souvent directement les choses superbes. Cette maturité est liée à un premier EP, à cette pause d’un an qui nous a fait revenir différents, et aussi au fait qu’on a commencé à tourner. Là, c’est notre quatrième tournée, la première en France, mais on a fait 3 tournées européennes avant. Et à force de jouer ensemble et en live, on a pris énormément d’assurance. Aujourd’hui, les morceaux qu’on répète, ça fait presque 2 ans qu’on les joue en live, donc les répètes sont de plus en plus rapides.

C’est marrant ce processus de composition en couche par couche : c’est systématiquement l’instrumental puis le chant par-dessus ?
Adrien : Oui, c’est toujours comme ça. On fait un enregistrement pourri et j’écris les paroles par-dessus.

Ok. Et vous parlez de la première démo, des EPs, mais on peut écouter le morceau one shot " No Peace " sur votre Bandcamp (canine-canine.bandcamp.com). Pourquoi avoir sorti un titre unique paru sur aucun disque ?
Adrien : C’est un ingé-son suisse qui s’appelle Kévin qui avait réalisé le projet " Recording Europe ". Il a fait une tournée de 33 dates, et tous les jours il a enregistré un morceau d’un groupe différent à chaque fois. Il a enregistré 34 groupes en 33 jours sur une grosse tournée de 1 mois pour faire un état des lieux de la scène DIY européenne. C’était sa première tournée lorsqu’il a enregistré " No Peace " avec nous. Au final, on l’a mis en ligne 1 an après l’avoir enregistré, en avril 2017. Après, il est allé aux îles Féroé, en Scandinavie et maintenant, ils sont deux sur ce projet super cool. Et ce sont que des petits groupes qu’ils enregistrent.
J’imagine que ce n’est pas un morceau composé pour l’occasion mais que vous aviez composé auparavant ?
Adrien : Ouais ! Mais il était tout nouveau. La première fois que je l’ai chanté, c’était dans le micro lors de l’enregistrement. J’avais jamais chanté les paroles avant - Rires.

Pour en revenir à votre nouvel EP, on y retrouve ce côté artisanal et chaleureux qui contraste avec les prods ultra professionnalisées qu’on entend avec le Djent, les surproductions américaines et autres disques FNAC. Mais c’était quoi vos attentes concernant ce dernier effort ? Et est-ce qu’au final, le résultat est celui qui était escompté ?
Tom : On voulait donner le meilleur de nous-mêmes. Faire ce qu’on pouvait faire de mieux. Mais on n’avait pas exactement structuré ce qu’on voulait faire.
Yann : Les deux EPs ont été enregistrés par la même personne : Julien Liphard du dBd Studio. Pour ma part, dans le premier EP j’avais vraiment galéré, il y a beaucoup de trucs recalés à la batterie. L’idée pour " Boiling Drops " était d’arriver en studio mieux préparés pour avoir un résultat plus naturel. Pour le premier EP qui reste très bon, je trouve, on n’était pas très préparés - rires. C’est pour ça qu’il y avait un côté plus produit dans le son parce que beaucoup de choses ont été recalées, et pas que la batterie. Il y a eu beaucoup de travail d’edit qui donne quelque chose de moins naturel, moins organique. Du coup, l’idée était d’arriver plus préparé et plus propre à la prise, pour avoir quelque chose de plus fluide. Et c’est ce qui s’est passé.
Adrien : Ouais, là, on a pris plus de temps de préparation mais aussi en studio. C’est un peu plus " nous " qu’avant où c’était " nous ", et du travail par-dessus. Mais moi, mes attentes, c’était que ça sonne comme en live, en fait. Et même s’il y a des pistes de guitares en plus, des choses comme ça, il n’y en a pas 200, pas de chant doublé, pour que lorsque des gens nous écoutent et nous voient en live, ils ne soient pas surpris et écoutent un reflet de l’EP durant nos concerts, et inversement. Et pour ça, je suis très satisfait.
Yann : L’idée du truc, c’était d’avoir quelque chose de bien, sans être produit comme les grosses productions mainstream.

C’était un peu où je voulais en venir : avez-vous choisi un studio précis et un ingé son précis pour avoir quelque chose de vraiment ciblé ?
Yann : Honnêtement, le choix du studio n’a pas été réfléchi comme ça, parce qu’en fait, là où on a enregistré, c’est chez un pote qui a un studio dans un local que je partage avec lui. J’y ai mon atelier. C’est un très bon ami de longue date avec lequel on a déjà enregistré le premier EP. Donc le choix du studio s’est plus fait par affinité et expérience d’un bon taf. Nous étions satisfaits.
Adrien : Nous étions très satisfaits ! Il nous connaît, il connaît notre son, il sait ce que l’on veut.
Yann : Ouais, il nous a vu plein de fois en live et on a l’habitude de bosser avec lui. Parce que même si c’était que le deuxième enregistrement avec lui sur ce projet, on en a déjà fait d’autres avec d’autres projets. On avait l’assurance que ça aille vite et que ce soit facile. Adrien : On savait que ça allait convenir et nous plaire.
Yann : Pour résumer : on connaît son travail et on aime bien ce qu’il fait en général. Le choix du studio s’est fait comme ça : naturellement. On ne s’est pas posé la question 1000 ans.

Lors de votre présentation, vous avez parlé de votre facette Post-Hardcore, mais pas de tous les passages Post-Rock qui ponctuent " Boiling Drops ", de tous ces éléments doux et aériens qui contrastent avec le Hardcore Screamo. Pourquoi alterner les deux et ne pas choisir exclusivement l’un ou l’autre ?
Yann : Ça vient du fait qu’on écoute tous des choses différentes. Le mélange vient beaucoup de ça, déjà, et ensuite, pour la compo, c’est surtout JB (guitare) qui amène les riffs à la guitare, dans un premier temps.
JB : Ouai, ce côté mélangé est vraiment lié à mon ressenti, en fait. Je créer un riff, je le travaille, puis d’un coup, j’en sors un autre. Souvent, c’est à peu près dans la même gamme, puis je cherche un moyen de les relier dans le but de créer quelque chose de singulier. On part sur un thème, par exemple un thème de basse vraiment intéressant, et on se demande ce qu’on peut faire avec et ce qu’on peut faire ressentir sur ce passage. Parce que c’est bien beau de se dire qu’on se concentre sur le Hardcore ou sur le Post-Rock aérien à la EXPLOSIONS IN THE SKY, mais à la fin, je trouve que ça ne sonne pas aussi fou que ce qu’on aurait pu faire en mélangeant les deux. Faire des choses un peu improbables, c’est ce que je recherche.
Yann : On cherche à être surprenant, sans vouloir être prétentieux.
JB : Ouai. Et en fait, j’écoute quasiment pas de Post-Rock. On écoute de tout : du PNL comme du RIHANNA. Ça va de la Pop au Jazz, en partant un peu dans tous les sens. On ne se dit pas que si l’on écoute ce genre de musique là, c’est qu’on va en jouer. Moi je joue ce genre de musique, mais je n’écoute pas ce genre que je joue - rires. C’est pour ça que des fois on se retrouve avec des mélanges un peu… bizarres.
Adrien : Je pense qu’au niveau des influences, on a le Punk au sens large en base commune, mais après, ça va vraiment dans tous les sens.
Yann : On a une base commune dans le sens où on écoute quand même tous pas mal de groupes similaires, comme du Screamo français des années 90 ou 2000, ce genre de groupes sur lesquels on est tous d’accords. Après, lorsque JB n’écoute pas de Post-Rock, moi j’en écoute beaucoup, Adrien est fan de RIHANNA, etc…
Donc si on se concentre sur vos influences communes, quel serait LE groupe qui met tout le monde d’accord ?
Adrien : Peut-être AT THE DRIVE-IN, non ?
Les autres : Peut-être, ouais !
Adrien : Sinon comme groupe qu’on aime beaucoup tous les quatre : BIRDS IN ROW.
JB : Après ça se rapproche pas vraiment de BIRDS IN ROW ce qu’on fait…
Yann : Non, mais ça rentre quand même dans une veine Screamo. Je suis très fan du dernier album.
Adrien : Leur live Audiotree est vraiment cool !
J’ai pu les voir en live après la sortie de leur dernier album, c’était moins percutant que les fois précédentes, peut-être qu’ils étaient moins assurés… Adrien : C’est sûr. On le constate aussi. Nos morceaux, la première fois où je les chantais, c’était en studio. Et en fait, je les chante plus du tout de la même façon aujourd’hui. Les morceaux, il faut les rôder. Tu les joues, tu les joues, et si tu les a enregistrés, tu te rends compte qu’au fur et à mesure que tu les joues, il y aura des petites différences, des choses qui vont s’affirmer. Donc ils étaient sûrement dans cette phase de tâtonnement ahah.


Quand on constate que la scène Screamo française a plutôt tendance à chanter en français, pourquoi avoir choisi d’écrire vos textes en anglais ?
Adrien : Mon premier groupe, c’était du chant français. C’était très mauvais. C’était du Punk Rock un peu à la LES BETTERAVES. Quand on a arrêté ce groupe, on a continué avec certains des musiciens, dont Thomas de YAROSTAN, et je me suis dis que j’allais tout changer. C’est justement à ce moment là que je me suis mis à écrire les paroles après que les morceaux aient été composés. Je me suis mis à chanter en anglais pour pouvoir changer cette manière d’écrire et donc de composer mes lignes de chant. Et en fait, ça m’allait très bien. C’est pas un choix politique où j’en sais rien, c’est juste qu’il y a plus de nuances dans l’anglais et j’arrive mieux à dire ce que je veux de manière simple et concise, ce que je recherche. J’y arrive mieux en anglais, parce que si je commence à écrire en français, je vais commencer à faire de la poésie. Or j’ai envie qu’avec les paroles de CANINE, il n’y ait pas d’interprétation possible. Je veux que ce soit clair quand j’écris quelque chose. En plus, comme on a fait pas mal de concerts à l’étranger, c’est plutôt pratique parce qu’il y a plus de gens qui parlent anglais que français. Donc ça me va très bien.
Yann : C’est aussi parce que tu as une très bonne base en anglais.
Adrien : Oui, si je savais pas parler anglais, j’aurais peut-être pas fait ça…
Yann : Le groupe YAROSTAN (yarostan.bandcamp.com), dans lequel je chante, c’est en français parce que je suis vraiment pas bon en anglais. Je trouve que je n’aurais aucune légitimité à chanter en anglais alors que je ne parle pas cette langue. Du coup, ça tombait sous le sens de chanter en français. Mais pour Adrien qui a un très bon niveau d’anglais à la base, je pense qu’il est plus légitime que beaucoup de personnes pour chanter en anglais.


Le choix de l’ouverture via la langue anglaise, c’est déjà un bon pas pour convaincre à l’étranger. Mais quand on n’est pas une superstar à la mode, comment arrive-t-on à convaincre un label de soutenir un petit groupe ? Quels sont ces labels qui sont derrières vous ?
Yann : Bin on galère ! - rires.
Adrien : Bin ça, on aimerait bien savoir ! - rires. Notre premier EP, c’était de l’autoproduction. On n’avait sorti que des cassettes et des CDs, faits nous-mêmes. Et il n’y avait que la cassette qu’on a co-produite avec mon label Bus Stop Press, avec lequel on sort également des brochures, des zines, et des disques. Les cassettes, on les duplique nous-mêmes. Donc on était vraiment restés dans une optique de faire les choses par nous-mêmes. Mais le deuxième EP, on a voulu le sortir en vinyle et ça coûte bien plus cher. On a cherché des structures qui pouvaient nous aider, en envoyant des mails à des labels qui sortent des groupes dans notre style que ce serait susceptible d’intéresser. On leur a proposé de participer à hauteur de leur volonté, et on leur envoie des disques en échange. Et en fait, les seuls qui ont répondu " présent " sont des gens qu’on connaissait déjà, des gens proches de nous. Ce sont des labels marseillais pour la plupart, des gens qui nous avaient déjà vu en live. Ce sont des amis, en fait. Il y a également le label Saka Cost d’Avignon qui a fait davantage que de participer financièrement au disque en nous faisant de la promotion.
Yann : Il essaie de nous accompagner, que ce soit avec de la promo, en nous aidant à booker des dates, à envoyer des mails pour démarcher des chroniqueurs musicaux. Et comment fait-on pour convaincre des labels ? Déjà, on n’essaie pas de convaincre de gros labels, des majors ou des structures du genre. Ceux qu’on contacte, ce sont des labels DIY indépendants dont les membres jouent dans des groupes comme nous. Du coup, ça facilite les choses, on n’a pas besoin d’arriver avec un business plan, ou je ne sais quoi.
Adrien : Ouais, on n’a pas de dossier de presse. Notre démarche c’est que " notre musique, c’est ça, nos paroles, c’est ça, et si ça vous plaît, que vous avez un peu d’argent de côté et que vous avez envie de nous aider, ce serait très chouette ". C’est la base, et après des labels peuvent faire plus, comme ce que fait Saka Cost. Mais apparemment, notre technique n’est pas la meilleure puisqu’on a écrit à des labels du monde entier et ce ne sont que les amis qui ont répondu " présent ". C’est déjà très cool, mais ce ne sont que des gens qu’on connaissait déjà qui nous ont aidé. Donc, au final, pour arriver à convaincre plus, il faut qu’on continue à tourner. Et si des membres d’autres labels nous voient en vrai, peut-être qu’ils auront également envie de nous aider. Je trouve ça bien, parce que ce côté humain est important : si tu ne connais pas les groupes, avoir la musique et les paroles, c’est une chose. Mais rencontrer les musiciens en vrai, savoir ce qu’ils pensent et comment ils font les choses, c’est également très important.


La qualité de cet EP peut également vous ouvrir des portes.
Adrien : Ouais ! De toute façon, plus on fait de choses et plus c’est facile.
Et pour vos tournées, avez-vous encore des difficultés à trouver des dates ?
Yann : Il y a pas mal de days off, mais sinon ça va. On a beaucoup de dates qui se sont annulées à la dernière minute pour pas mal de raisons différentes, comme des gens en déplacement pour le boulot qui ne pouvaient pas assurer la date, ou autres causes légitimes.
Adrien : Ou des salles qui ont booké deux concerts en même temps, chose qui arrive dans les collectifs Punk. C’est pas grave, même si là, c’était très concentré.
Mince… Mais si ce n’est pas celle-là, quelle est la grande difficulté à laquelle est confrontée un groupe qui fait les choses par lui-même ?
Yann : En dehors des tournées, c’est que CANINE nous prend beaucoup de temps.
Adrien : Beaucoup de temps de recherche.
Yann : C’est un investissement en temps personnel. Par exemple, il faut prendre le temps d’envoyer des mails à des labels, à des salles ou des assos pour booker des concerts. Il faut prendre du temps pour répéter, composer ou pour faire des réunions et discuter des objectifs du groupe, de son avenir. Donc la principale contrainte, c’est le temps.
Parce que j’imagine que vous avez tous une activité à côté, que ce soit des études ou un boulot ?
Yann : Ouais, plus ou moins - rires.
Adrien : Ce qui prend le plus de temps mais qui est le moins agréable, c’est le booking. Tu réfléchis à un itinéraire, puis tu regardes ce qui est vraiment faisable, où est-ce que des gens seraient vraiment prêts à nous faire jouer. Et s’il y a des gens qui organisent des concerts, est-ce que ça les intéresse ce qu’on fait ? C’est vraiment ça, le réseau DIY : est-ce que ça vous intéresse ce qu’on fait ? Si ce n’est pas le cas, est-ce que vous connaitriez d’autres gens susceptibles de nous aider ? Et comme ça, de fil en aiguille, sans jamais harceler où être lourd mais sans jamais lâcher, ça marche. Il faut chercher et persévérer. Par exemple, pendant notre dernière tournée européenne, on est allé en Roumanie. Je n’y étais jamais allé de ma vie, comme aucun membre du groupe, et on se demandait où il pouvait y avoir des concerts. Puis, j’ai lu un article sur la scène Screamo dans les Balkans où il est mentionné tels groupes qui viennent de Bucarest que j’ai contactés par la suite. Du coup, le très chouette groupe de Screamo Math-Rock BASTOS nous a fait jouer à Bucarest et nous a donné des contacts dans d’autres villes. Ils nous ont aiguillé en nous disant dans quel ville ça ne servait à rien d’aller, alors que je pensais que ça nous arrangerait bien d’y passer. Ils nous conseillaient d’aller plutôt à d’autres endroits, puis on a joué ensemble. Eux aussi sont impliqués dans la scène Screamo : ils organisent des concerts, etc… Et en fait, tous les groupes que tu vas croiser font partie de cette dynamique. À notre échelle et dans les groupes qu’on côtoie, c’est rare d’avoir des gens qui ne font que de la musique et rien d’autre. Tu vas en avoir qui organisent des concerts, d’autres qui font de la sérigraphie, c’est un tout.

Je n’ai pas trouvé beaucoup de traces du passé de CANINE sur le Net. Du coup, je ne sais pas trop où vous avez déjà joué. Mais des 4 tournées, quel serait votre meilleur souvenir ?
Yann : On est assez mauvais en comm’, tu peux le dire. Mais on essaie d’y remédier !
Tom : Pour moi, c’est le SAWA Fest (Sick As We Are) Fest à Županja, en Croatie.
Yann : Ouais, sur la première tournée.
Adrien : Là, c’est notre première tournée française, mais on a commencé à tourner il y a 3 ans. On était plutôt en Allemagne, en République Tchèque, une date ou deux en Croatie.
Yann : Une seule date en Croatie, une en Hongrie et une en Slovaquie.
Adrien : Voilà, donc on était plutôt en Europe centrale. La deuxième tournée, c’était la même mais sur une plus longue durée, et pour la troisième qui était ce printemps, on était surtout dans les Balkans. Pour moi, il n’y a pas un souvenir ou un concert au-dessus des autres parce que c’est très différent tous les jours.
Tom : Pareil. Quand je dis le SAWA Fest, c’est pas le meilleur de tous mais ç’en est un qui m’a bien marqué.
Yann : C’est le premier gros festival que l’on ait fait.
JB : Un bon souvenir, c’était en Allemagne, à la Œtinger Villa à Darmstadt. On avait joué dans une sorte de maison des jeunes qui était un ancien manoir. Le dernier descendant de la famille à laquelle il appartenait n’avait pas d’enfant lorsqu’il est décédé, donc il l’a légué à la ville. Du coup, on y va, et on se retrouve dans cette maison des jeunes qui est en fait un manoir avec des gargouilles. On se retrouve à faire un concert là ! Il y avait un grand hall avec de grandes arches, c’était assez ouf ! Et malheureusement, il y avait bière à volonté.


© Jan Ehlers

Adrien : En Allemagne, il y a de la bonne bière pas chère…
JB : Mais on a toujours été dans des endroits un peu fous, comme lors de la dernière tournée où on s’est retrouvés dans un bunker, en Serbie. C’était un bunker de la ville qui a servi pendant la guerre froide, avec un petit portrait de Tito sur le mur. Pendant notre première tournée, on s’est retrouvés dans un camping en Hongrie. Les gens étaient à leur table, ils nous regardaient dubitatif, l’air de se dire " c’est quoi ça ? ".
C’était un public susceptible de vous écouter ?
Tous ensemble : Ah non ! Pas du tout ! C’était vraiment camping, camping !
Yann : C’était des familles qui étaient là en vacances. C’était plus un village vacances avec des maisons sur pilotis au bord d’une rivière.
Tom : C’était des familles avec les grands-parents, parents, enfants.
Yann: Du coup, on jouait avec deux groupes serbes devant le bar du camping où se trouvaient les gens, dans cet espèce de village.
JB : On a une bonne histoire en Bosnie, aussi. On arrive à nouveau à une maison des jeunes avec une énorme salle et une scène de fou qui devait faire 1 mètre de haut, je pense !
Yann : Ouais, avec les crash barriers.
JB : Et on se retrouve dans une salle à capacité de 600 personnes. L’organisation nous dit " ne vous en faites pas, on la coupe en deux ". Du coup, on est dans une salle à capacité de 300 personnes avec tout de repiqué, et on joue devant 20 personnes.
Adrien : Vingt personnes, mais ils en espéraient 10.
JB : Voilà, donc à chaque fois qu’on fait des tournées, on se retrouve dans des lieux un peu fous. Des fois, le lieu est tout petit et il y a plein de monde, et d’autres fois, le lieu est énorme et il n’y a personne.
Yann : Faut dire que la veille de cette date, on avait peut-être 4m2 pour jouer.
Adrien : Tous les jours, c’est très différent, mais c’est chouette, parce que c’est à chaque fois de nouveaux défis. On ne sait jamais à quoi s’attendre. Pour la dernière tournée, on est allés à des endroits dans les Balkans où il n’y a pas de scène Punk dans les villes. On s’est retrouvés à jouer seuls parce qu’il n’y avait pas d’autre groupe, où alors il y a un autre groupe, mais il avait déjà joué 3 jours avant, donc il ne va pas refaire de date au même endroit. Et quand tu joues seul, t’essaies d’en donner encore plus pour les gens qui viennent, pour ne pas qu’ils se retrouvent devant un concert qui finit au bout de 20 minutes. Donc c’est sûr que ça fait beaucoup de surprises et beaucoup de choses très diversifiées. C’est ça que je trouve super intéressant dans les tournées : le fait de ne jamais savoir à quoi s’attendre ni ce que ça va donner. Mais s’il y a un concert où je me suis dit que tout était parfait, c’était lorsqu’on a joué à Berlin l’année dernière. C’était un ami qui organisait, donc quand tu arrives, tu connais les gens et tu leur fais confiance à 200%, en plus du fait que ça fasse plaisir de les voir. C’était un concert de soutien à une personne transsexuelle, donc si des gens venaient au concert, l’argent récolté n’aurait pas juste servi à payer nos vacances mais permettrait d’aider des gens réellement. Il y avait 3 groupes locaux, on devait jouer en avant-dernier, mais finalement, on a joué en dernier parce qu’un groupe avait demander à passer avant. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre parce qu’il y avait 100 à 150 personnes vraiment très à fond sur les premiers groupes. Donc, est-ce que le public allait partir quand ce serait à nous de jouer ? En fait, pas du tout, c’était rempli, les gens dansaient du début à la fin. Et c’est là que je me suis dit qu’il y avait tout : le lieu qui était super chouette puisqu’on a joué à la Rauchhaus qui est dans une université squattée depuis 30 ans, une organisation trop bien et en solidarité, ce qui permet de faire plus que de la musique, et une ambiance énorme. Pour moi, ce concert là, il y avait tout !
Yann : Je suis d’accord. J’avais un peu oublié, mais ouais, je suis d’accord : un très très bon souvenir.


Donc LE lieu à retenir, c’est le manoir aux gargouilles en gros.
JB : Y’a plus qu’un lieu à retenir, je pense.
Tom : C’est un peu difficile de choisir.
Adrien : Même là, samedi, c’était la première fois qu’on jouait dans une maison à Les Brouzils, près de Montaigu, près de Nantes - rires. On ne savait pas à quoi s’attendre parce que Hervé, l’organisateur qui nous a contacté, nous a dit qu’il faisait un concert chez lui. Et comme il a vu qu’on était en tournée, il voulait qu’on vienne y jouer. On s’est dit « ok… » parce qu’on ne savait pas à quoi s’attendre, mais c’était quitte ou double parce que ça pouvait être génial comme ça pouvait être l’angoisse. Et en fait, c’était…
Tous ensemble : C’était génial.
Adrien : C’était un concert organisé de manière très différente par rapport à ceux dont on a l’habitude parce que c’était un concert privé. Il a juste invité ses amis qu’il avait harcelé pour qu’ils viennent -rires. On a joué dans un salon, devant une soixantaine de personnes d’une quarantaine d’années de moyenne d’âge. Il y avait aussi des enfants. Et c’était juste génial, parce que c’était un public dont les trois quarts n’écoutent pas du tout la musique qu’on fait, ni même le style et pourtant, c’était des gens vraiment attentifs et intéressés. Ça change beaucoup des autres concerts où ce n’est pas du tout la même ambiance. Cette fois-ci, les gens arrivaient, te faisaient la bise. Ton public te dit bonjour, un par un. Donc ça va du manoir, au salon, aux festivals…
Yann: Après, concernant un lieu auquel on est rattachés, c’est chez nous à la salle de l’Humus, à La Fare Les Oliviers. C’est là où on répète. On fait tous partie de l’asso qui tient la salle de concert là-bas. C’est le lieu où on a tous appris à faire de la musique, à jouer de nos instruments et où on a tous commencé à répéter avec nos premiers groupes. On répète toujours là-bas, on s’y investis toujours, que ce soit pour faire tourner le local de répétition ou pour organiser des concerts. Du coup, s’il y a vraiment un seul lieu à retenir qui est vraiment rattaché à CANINE et qui est vraiment important pour nous, c’est celui-là.
Adrien : Il y a beaucoup de concerts là-bas, ça fait plus de 15 ans que ça existe. Les premiers concerts que je suis allé voir, c’était là-bas, parce que j’ai grandis pas loin. Eux aussi, ou dans les villes alentours. Quand j’avais 15 ans, lorsque j’allais voir un concert de Metal ou de Screamo, c’était là-bas. La première fois que j’ai vu un groupe de Screamo ou que j’étais à un festival de musique, c’était également là-bas. Du coup, c’est un lieu hyper marquant et quand l’asso qui gérait ce lieu s’est faite dégager par la ville, on a essayé de le faire perdurer pour avoir au moins un local de répète très accessible et continuer à faire des concerts, à proposer de la musique de qualité. Pour une petite ville de 7000 habitants comme La Fare Les Oliviers, il y a une quinzaine de groupes qui répètent dedans. Des groupes plutôt… très bons ! Il y a vraiment une cohésion : on bosse ensemble, on en discute et la musique est vraiment créée grâce à cette synergie. Tu fais pas juste ta répète dans ton coin. Je me rappelle quand moi j’ai commencé à répéter là-bas et que Yann passait, lorsqu’il faisait du BMX à 11 ans. Il venait nous voir aux répètes et nous, on allait voir les grands qui répétaient avant nous. Il y a toujours eu de l’interaction. Maintenant, il y a des groupes plus jeunes que nous qui ont repris le truc, et toujours des groupes de Punk Hardcore.
Yann : Il y a de tous les styles, mais il y a une grosse niche Rock, Punk, Hardcore. Pour un petit village de Provence, c’est pas rien.

Puisqu’on parle de Punk, quelle serait la drogue idéale pour savourer un live de CANINE, alcool compris ?
Yann : Rien ! Les deux c’est mal ! - rires.
Adrien : En général, il n’y a pas de pogos ou tous ces trucs à nos concerts. Et en fait, ça me va très bien. J’aime beaucoup le fait de chanter et de ne pas faire d’instrument, parce que j’aime avoir un contact avec le public, regarder les gens dans les yeux. Et quand je vois que les gens sont attentifs et sourient, c’est la meilleure des récompenses. Bien sûr, j’ai déjà été bourré à des concerts, et c’était chouette, mais après je me rappelle de rien, du coup je préfère que les gens qui ont aimé notre musique s’en rappellent - rires.

De toute façon, en France, la drogue c’est mal ! Et cette France, pensez-vous qu’elle est un bon terreau culturel pour des groupes qui émergent ou qui ne font pas partis des styles écoutés par le grand public ?
JB : C’est dur à dire, parce qu’il faut pouvoir comparer avec ce qui se passe dans les autres pays. Ça fait 4 ans qu’on existe, et c’est la première fois qu’on arrive à faire des concerts en France. Au début, lors des premières tournées où on avait essayés, on n’y arrivait pas. Peut-être que c’était à cause de la période, et on avait moins de contacts. Mais j’ai l’impression que vis-à-vis des concerts, ça a l’air d’être un peu plus compliqué en France, même si je n’ai pas beaucoup d’expérience ce concernant. Je trouve que de trouver des concerts, c’est assez complexe quand tu créer ta propre musique. Quand tu fais des reprises, c’est facile : tu joues dans n’importe quel petit pub. Mais quand tu fais ta musique, j’ai l’impression que c’est plus compliqué que de jouer en Allemagne, par exemple. Et comme dit, c’est peut-être à cause des contacts, aussi.
Adrien : Je pense que pour des groupes de notre niveau, la France n’est pas l’idéal au niveau de la taille des salles parce que j’ai l’impression que soit tu as les grosses salles type MJC ou SMAC qu’on ne remplira jamais et donc dans lesquelles on ne jouera jamais à moins d’être la première partie d’un grand groupe, soit des bars, ce qui peut être chouette mais moins intéressant. Dans des pays comme l’Allemagne ou l’Italie, tu as beaucoup de centres culturels ou de lieux autogérés qui sont plutôt de taille moyenne et qui vont ramener des gens de par leur politique d’ouverture. Ce sont des lieux de sociabilisation où l’entrée est à prix libre, donc si tu n’as pas d’argent, tu peux rentrer quand même. Du coup, ça va ramener plus de monde et c’est plus en accord avec ce que moi j’ai envie de faire avec notre musique. En France, évidemment qu’il y en a, mais moins que dans des pays voisins, que ce soit l’Espagne, l’Italie ou l’Allemagne pour les pays frontaliers. Nous, on vient du Sud, qui est une terre beaucoup plus Hip-Hop. J’ai d’ailleurs grandi avec le Hip-Hop et on en écoute tous plus ou moins souvent, donc c’est pas pour dire que c’est mal, mais au niveau du Rock, s’il n’y avait pas eu la salle de l’Humus à La Fare Les Oliviers, je ne sais pas si je serais dans ce groupe aujourd’hui. Après, c’était il y a quand même 15 ans, ça a beaucoup changé depuis. Mais je ne sais pas si les gens se sentent concernés, et je ne sais pas comment est-ce qu’on pourrait essayer d’intéresser les gens.
JB : En fait, le problème, c’est toujours l’aspect communication. On voit tout de suite la différence entre quelqu’un qui a des compétences en communication, et une personne qui se fait aider. Par exemple, on voit la différence entre une personne d’un petit label comme Flot de Saka Cost, et nous, qui ne faisons jamais ça. Lui, il prend 2 à 3 heures par semaine pour démarcher des médias, des chroniqueurs. Et rien que grâce à ça, on arrive à toucher plus de monde. Donc, il y a vraiment cette compétence en communication qu’il faut réussir à avoir et que nous, on n’a pas vraiment. Et si tu ne l’as pas, il faut demander de l’aide, parce que c’est assez compliqué.
Yann : Je pense que le grand public français est plus orienté vers la tendance Hip-Hop, ce qui n’est pas une mauvaise chose. Mais c’est très cyclique, et le Rock, on y reviendra à un moment. Dans tous les cas, même si effectivement ça ne touche pas le grand public, ça touche toujours des niches de personnes. Il y aura toujours des gens qui écouteront ce genre de musique et qui seront chauds pour en faire et faire vivre le style.
Adrien : Moi, j’ai envie de convaincre les gens par le live, surtout. À chaque concert qu’on fait, on a des contacts pour faire plus de concerts. C’est comme ça que ça fonctionne. Nous, on n’est que 4, c’est pas beaucoup mais on peut faire plein de choses ensemble, et à chaque tournée, on rencontre des gens. Par exemple, on a rencontré Honza en République Tchèque, qui nous a proposé de nous y booker 3 dates la prochaine fois. Du coup, on passe d’une date à trois, et c’est toujours comme ça. Pour moi, c’est la meilleure manière de convaincre les gens. Après, à moins de faire ça toute l’année, c’est très lent mais au moins, c’est plus réaliste si les gens savent à quoi s’attendre : ils nous ont rencontré, ils nous ont déjà vu en live, donc ils savent ce que l’on vaut.

Est-ce que CANINE a encore le temps de découvrir des pépites musicales où surfez-vous sur toutes vos références déjà découvertes ?
Yann : Je ne pense pas qu’on cherche spécialement à suivre l’actu musicale.
JB : Oui, par le live.
Adrien : Oui. Je fais partie d’un collectif d’organisation de concerts à Marseille, à la Salle Gueule. Et la plupart du temps, quand je découvre des groupes, c’est quand ils nous écrivent et qu’on les fait jouer. Soit ça, soit en tournée. Mais je pense qu’entre les répètes avec les différents groupes, les concerts organisés ou ceux que je vais voir, lorsque je suis chez moi, j’écoute très peu de Punk. J’écoute plutôt des choses diversifiées. Donc, pour rencontrer des petits groupes, ça va être en personne, plutôt.


Yann : Pareil. Comme je m’occupe surtout du booking pour l’asso qu’on a à La Fare Les Oliviers, pas mal de groupes ou bookeurs nous écrivent, donc il y a plein de groupes que je découvre comme ça. Après, on découvre aussi de groupes via Internet, bien sûr. Que ce soit Bandcamp, Youtube, etc… Il y a la chaîne Audiotree Live sur Youtube, qui nous a permis de découvrir plein de groupes avec JB. Ou via leur site, puisqu’ils font des lives en direct. Des fois, je reçois des mails annonçant un live, je regarde même pas de quel groupe il s’agit, je vais regarder. Des fois, ça ne me plaît pas et j’arrête de regarder, mais des fois je découvre des groupes dingues. Je parle d’Audiotree Live, mais il y en a plein d’autres plus petits : des live sessions, des live radios sur Internet. Il y en a de plus en plus avec toujours plein de groupes hyper cools qui y passent, pas forcément connus mais qui défoncent et qui méritent d’être découverts, je trouve.


Et on parlait de la vague Hip-Hop tout-à-l’heure. Qu’est-ce que vous en pensez ? Tu avais parlé spécifiquement de la vague trap. Tom : Personnellement, je n’en suis pas vraiment fan. C’est vraiment pas le genre de musique que j’écoute. Pour moi, c’est pas vraiment bon - rires. Mais ça touche beaucoup de monde, et je vois un peu ça comme une régression de la culture musicale.
JB : Nous, on aime bien.
Yann : Alors moi, je trouve qu’il y a beaucoup de choses assez mauvaises dans le lot, mais il y a quelques pépites qui sont très bien. Je ne trouve pas qu’on puisse parler de régression. C’est juste quelque chose d’un peu nouveau, même si je ne sais pas si on peut le qualifier comme tel vu le nombre d’artistes qui font la même chose, mais c’est un autre style, tout simplement. Après, on aime ou on n’aime pas, il y a des trucs que j’aime bien et d’autres pas du tout, mais ça ne me dérange pas spécialement, cet engouement. Je ne trouve pas que ce soit une mauvaise chose. À la base, si ça marche, c’est qu’il y a des gens pour en écouter, donc des gens que ça touche, donc partant de là…
Adrien : Souvent, ce que je trouve dommage, c’est les paroles.
Yann : Voilà ! C’est là où je voulais en venir. Quand je disais qu’il y a beaucoup de trucs que je trouve mauvais, c’est souvent au niveau des paroles où c’est très très limite. Soit très vide de sens, soit très sexiste ou homophobe, en fait. Tu prends des références comme NISKA, moi je trouve ça vraiment pas bon.
Adrien : Je pense qu’il y a beaucoup de potentiel musicalement parlant. Par exemple, les instrus de PNL sont hyper biens en général. Mais après, ça ne me fait pas plaisir d’écouter cette musique, justement à cause des paroles qui me dérangent trop. Mais ça ne veut pas dire que du coup, je déteste la Trap. S’il y avait des groupes aux paroles qui me touchaient, j’en serais le plus heureux.

Revenons-en à vous : quel sera le futur du groupe ?
Yann : Essayer d’être meilleur en communication - rires !
Adrien : On va essayer de refaire une tournée en France, d’ici à la fin de l’année. Du coup, faut qu’on se dépêche.
Yann : Potentiellement, avec un autre groupe de Rennes qui s’appelle CATHERINE BASEBALL.


Adrien : Et l’année prochaine, on s’est dit qu’on voulait essayer de faire plus de tournées, mais des tournées plus courtes. Des tournées d’une dizaine de jours et partir plutôt en Espagne et au Portugal pour l’une, en Allemagne pour l’autre. Une tournée en Grèce, aussi. Sur les îles, pour le soleil.
Yann : Essayer de faire des weekends tours en France. Essayer de jouer en France le plus possible, parce que comme on le disait, c’est notre première tournée hexagonale, donc on veut faire le match retour. Pour se faire connaitre aussi ici.
Adrien : On va aussi essayer de partir juste un weekend pour jouer dans des festivals qu’on trouve chouette. Pour changer, parce qu’on n’a jamais fait ça. On est toujours partis en tournée. Donc essayer de voir ce que ça pourrait nous apporter, si ça nous plaît de faire les choses différemment.
Yann : Ces derniers temps, on a beaucoup discutés de l’idée de faire un peu plus de festivals. Ça demande une autre organisation, parce que ça demande de faire " rentrer " d’autres gens dans le groupe. Il faut y aller avec notre ingé son pour que ce soit plus confortable. Potentiellement, ça demande de faire une résidence avec cet ingé son, du coup.
Adrien : Ça demande de se préparer différemment.

Un dernier mot pour la fin ?
Tom : N’écoutez pas KAARIS ! - rires.
Yann : Et PNL, c’est pas si mal.
JB : Je pense que c’est important, quand tu as un groupe de musique, de pouvoir faire les choses de cette manière. Je n’ai pas envie que ça devienne professionnel, parce que lorsque ça le devient, ça devient quelque chose de forcé où tu as besoin d’avoir des attentes pour avoir un retour. Aujourd’hui, j’ai envie d’en faire plus, mais toujours de la même façon, avec notre manière de faire, avec ce côté amateur, voir semi-pro si on arrive à donner plus. Mais je trouve que ce qui est énorme c’est ce côté là : partir en vacances avec tous ses amis, voyager, jouer, même devant 4 personnes, c’est pas grave. Mais c’est mieux quand il y en a plus. Continuer à faire ça, et quand tu te retrouves dans la vie de tous les jours, tu la vois d’une autre façon : quand tu t’es retrouvé à faire un concert en Bosnie, que tu as vu les maisons détruites par la guerre dans les années 90, ça te fais grandir. Tu reviens totalement différent dans la vie de tous les jours. La musique, ou un projet comme CANINE, ça t’apporte un plus dans la vie de tous les jours.
Adrien : J’ai conscience qu’on a énormément de chance de pouvoir faire ça, d’être là et de recevoir de l’argent après avoir joué. On est privilégiés par rapport à beaucoup de gens, par rapport au fait de pouvoir se dire qu’on va partir plusieurs fois par an. Parce qu’on a des connexions issues de ce réseau DIY qui fait qu’on va pouvoir partir presque à l’autre bout du monde, sans être des stars. On a vraiment cette chance. Et ce dont les gens ne se rendent pas compte, c’est que ce n’est pas si dur, en fait. Je pense que n’importe quel groupe peut le faire. Et je pense que plus de groupe le feront, mieux ce sera, et plus ce sera facile pour tout le monde. Du coup, allez-y ! Allez-y !