Thierry Le Roi


Interview réalisée par Djyacee par mail au mois de novembre 2020.


Bonjour Thierry, merci de nous accorder cette interview.
Tout d’abord une petite présentation s’impose. Vous êtes taphophile, pouvez-vous nous dire ce que c’est exactement et quel a été votre parcours pour devenir guide du Père Lachaise ?

Etre taphophile, c’est être passionné de l’univers des cimetières. Le terme est issu des mots grecs : " taphos " qui signifie la tombe, la sépulture et le suffixe " philéo " qui exprime la notion d'aimer, de s'intéresser.
Dans un premier temps je ne me définirai pas comme un " guide " mais comme un " passeur de mémoire ". Je suis d’origine nantaise et mes premiers pas dans un cimetière m'ont guidé dans celui de La Miséricorde à Nantes. Je devais le traverser pour rendre visite à ma grande-tante. De nature curieuse, je m’attardais devant certaines tombes et j’essayais de comprendre pourquoi tout cela … C'était un peu compliqué à l’époque car je n’avais que 12/13 ans ! En 1981, j’ai quitté ma belle province pour faire ma vie à Paris, j’ai eu alors la chance d'habiter à côté du cimetière du Père Lachaise. A l'époque, le 20ème arrondissement était encore un quartier abordable pour se loger. J’ai donc découvert ce cimetière et je suis tombé sous le charme. J'ai eu l'occasion d'apercevoir un monsieur avec une belle barbe qui guidait plusieurs visiteurs à travers les tombes, je suis resté songeur.
C'est lors d’un voyage en Égypte que j’ai eu le déclic ! Le guide que nous avions présentait les monuments d’une manière très singulière, il mettait en scène l’histoire du défunt, il racontait une histoire en évoquant l’Histoire avec un grand H ! J'ai donc décidé d’appliquer cette vision au cimetière du Père Lachaise. Je suis totalement autodidacte. J’ai tout appris en faisant les recherches sur le terrain, dans les livres (internet n’existait pas) et des cours du soir à l’École du Louvre pour l’histoire de l’art.
J'ai fait la rencontre de ce monsieur avec une barbe, Il s'agissait de Vincent de Langlade, un personnage institutionnel dans l'histoire des guides du Père Lachaise. Véritable " Passeur de mémoire ", il m’a pris sous ses ailes bienveillantes et m’a transmis une somme d’information et m’a encouragé dans cette voie, pour en quelques sortes prendre le relais.

Vous faites également visiter Paris par le prisme de la mort et la visite d’autres cimetières, quel est votre coup de cœur ?
Après avoir maîtrisé le cimetière du Père Lachaise, je me suis bien sûr intéressé à deux autres nécropoles parisiennes incontournables : Montmartre et Montparnasse. Je n’ai pas vraiment de coup de cœur car les trois cimetières ont chacun leur histoire, leur beauté et leur particularité. Lorsque l'on est un véritable passionné, on peut trouver du beau dans n'importe quel détail d'une sépulture. Il faut regarder, apprendre à déchiffrer une tombe. C'est cela qui est passionnant dans l'art funéraire.

Thierry Le Roi   Thierry Le Roi

Nous avons eu la chance de faire une visite avec vous et vous rendez le cimetière " vivant " et même musical. A ce titre, vous organisez des visites spéciales fête de la musique, notamment avec Jérôme Sétian. Comment avez-vous eu cette idée et comment s’organise-t-elle ?
Après avoir découvert, d’une manière globale le cimetière, beaucoup de visiteurs me demandaient des visites à thème. J’ai créé en premier la visite " Flânerie littéraire au Père Lachaise " au cours de laquelle nous lisons des textes d’écrivains et poètes. J’ai toujours voulu une interactivité avec le public. Et puisque nous lisons des textes pour rendre hommage à un poète, pourquoi ne pas chanter une chanson pour rendre hommage à une chanteuse ou jouer d’un instrument de musique un extrait d’une œuvre musicale d’un compositeur ?
L’évènement du mois de Juin " Fête de la Musique " était l’occasion d’en faire une version au cimetière du Père Lachaise. La première a eu lieu en 2017 avec deux jeunes artistes violoniste et guitariste. J’ai rencontré par la suite Jérôme Sétian, passionné du cimetière du Père Lachaise mais surtout auteur-compositeur-interprète. Cette collaboration a commencé en 2018 et Jérôme a eu la gentillesse d’écrire et composer spécialement pour cette visite. Je précise que cet évènement est organisé avec l’autorisation de la Ville de Paris.

Lorsque vous nous guidez vers la tombe du chanteur des DOORS, nous passons devant une des tombes d’une victime des attentats du Bataclan, cela a été peut-être pour nous le moment le plus poignant de la visite, même si nous ne nous y arrêtons pas [nous sommes plusieurs photographes dans le magazine à avoir vu nos anges gardiens nous proscrire l’accréditation photo…]. Il y a des tombes d’anonymes poignantes à la fois par le contexte ou par la nature de la tombe, quel est le secret le mieux gardé du Père Lachaise ?
A l’heure des réseaux sociaux, il n’y a plus de secret ! En Juillet dernier est apparu une nouvelle œuvre au Père Lachaise : la représentation à l’échelle 1 d’une femme dans du marbre de carrare. J’ai déjà lu tout et n’importe quoi sur internet au sujet de cette statue. Je peux en parler d’une manière très claire lors de mes visites puisque j’ai rencontré son sculpteur, Gérard Lartigues qui m’a informé de son histoire. Pour moi, il n'y a plus de secret, alors que sur internet ce mot est utilisé dans des articles concernant cette tombe !
Si vous êtes passionné, ou fasciné par ce lieu et que vous voulez tout savoir, le plus simple est de vous procurer des ouvrages et d'aller investiguer par vous même comme je l'ai fait.

Revenons aux tombes en elles-mêmes : le nouveau groupe du chanteur de PANTERA a pour premier single : " Mausoleums " avec un refrain scandé sur un ton monotone.
Sur votre page facebook, vous référencez les offrandes des fans de certains artistes sur les tombes. Avez-vous des anecdotes ou des choses réellement folles que vous avez rencontrez lors de vos visites ?

Il y a toujours une émotion, lorsque l’on se présente devant une tombe et que l’on découvre ce que j’appelle " hommages éphémères " car malheureusement ils ne résistent pas aux intempéries. C’est la raison pour laquelle je les photographie.
L’hommage le plus singulier c’était pour Jim Morrison. Lors d’une visite, nous venions d'arriver à la dernière demeure du chanteur des DOORS, un visiteur vient alors vers moi, ouvre son sac et sort un magnifique buste de Jim Morrison et me demande l’autorisation de le déposer sur la tombe. Je réussi à le convaincre de ne pas le faire pour la simple raison : qu’il sera volé ! Alors je l’ai accompagné dans un café qui est juste à côté du cimetière et où se retrouvent les fans de Jim et en particulier lors des anniversaires (naissance et mort). Et j’ai demandé au patron, s’il pouvait accepter dans sa décoration le buste de Jim que le visiteur voulait déposer sur la tombe. Aussi, aujourd’hui encore, on peut admirer ce buste dans le café " Chez l’Ami Justin " qui se trouve en bas de la Rue du Repos après la sortie du cimetière.

Thierry Le Roi   Thierry Le Roi

Nous savons qu’en plus de votre page facebook, vous avez un site internet que peut-on y trouver ?
Le site internet www.necro-romantiques.com est l'arrière boutique de notre communauté. Il y a une mise à jour quotidienne sur la page d’accueil pour rendre hommage à la célébrité décédée le jour J ainsi qu'une mise à jour de l’agenda des visites. Les informations plus interactives se trouvent sur les réseaux sociaux (page Facebook Thierry Le Roi et les NécroRomantiques et compte Instagram @les_necroromantiques) où nous publions régulièrement des informations, des quizz, de la culture, des coups de cœur et une mise à jour régulière des conditions de visite car en ce moment tout est un peu à l'arrêt. Mais nous ne nous laissons pas abattre et la communauté des Nécro-Romantiques fait preuve d'ingéniosité et de dynamisme pour continuer de rendre la mort " vivante " même à distance !

Merci de nous avoir accordé cette interview.
Mot de Jérome Sétian qui l’accompagne les 21 juin.
J’ai souvent croisé Thierry dans les allées du Père Lachaise où je me balade fréquemment. Là, nous avons fait connaissance et sommes devenus " amis Facebook ". Ainsi il a pu voir que j’étais guitariste et un jour m’a proposé de l’accompagner pour la fête de la musique. En général, je ne joue jamais à cette occasion : trop de bruit tout autour et assez peu d’écoute d’une manière générale (...). Chanter dans un cimetière était donc une belle occasion pour moi de sortir de mes sentiers battus, de rendre hommage aux chanteurs, poètes, auteurs que j’aime et que le public aime mais aussi de partager la " scène " avec Thierry le Roi le temps d’une visite originale faite de complicité, d’humour, de sincérité et de partage avec le public.