Interview réalisée par mail au mois de Mai 2006.


Salut les BLOCKHEADS, pourriez-vous me faire pour commencer, une brève présentation de votre groupe, pour celles et ceux qui ne vous connaîtraient pas encore ?
On a monté ce groupe de grindcore au début des années 90, puis on a sorti une démo en 93, " Last Tribes ", notre premier album en 95, " Watch Out ", le second en 98, " Human Parade " en 2001, et deux splits avec MASTIC SCUM et NOSTROMO. Beaucoup de concerts en France et en Europe, de kms au compteur, d’expériences musicales et humaines très intéressantes, et de bonnes prises de gueule entre nous aussi…

Que s’est-il passé pendant les 4 ans qui ont séparé " Shapes of Misery " et " Human Parade " (votre avant-dernier album) ?
Pas mal de concerts suite à la sortie de " Human Parade ", ensuite on s’est repenché sur la compo mais comme nous ne pouvons le faire que les week-end ça limite forcément l’avancée de tout çà. En plus, on a vraiment voulu avancer en composant des titres très personnels, et souvent ça nous a conduit à rejeter des essais, des entames de titres qui ne nous plaisaient plus au bout d’un temps ou pas assez efficaces en concert. D’ailleurs pour nous c’est toujours ça le test pour les titres, l’efficacité et l’impact en concert, tous nos morceaux sont rôdés largement avant l’enregistrement, qui finalement n’est que la pose sur galette des titres et arrangements qui nous plaisent et nous semblent les plus efficaces. En plus l’éloignement des membres fait qu’on a forcément du ralentir, ça fait 5 ans que pour ces raisons nous ne pouvons plus composer autant.

Votre nouveau skeud " Shapes of Misery " sort dans quelques jours dans les bacs, vous êtes dans quel état d’esprit à quelques jours de sa mise en bacs ? Quelles sont vos attentes par rapport à cette sortie ?
Nos attentes ? Très simplement, les mêmes que lorsque " Human Parade " est sorti. A savoir que cet album plaise aux gens qui nous suivent et nous apprécient, idem pour ceux qui nous découvrent et peu importe les styles, qu’on les retrouve après en concert pour partager cette énergie, cette fougue.
Plus concrètement cet album marque un jalon. Nous présentons notre musique, notre vision de la scène transparaît sur le site internet, et ce que nous souhaitons le plus c’est bouger et faire des concerts là où nous n’avons pas eu l’opportunité d’aller, et retourner là où on a été.
En revanche c’est clair aussi que sortir un album 5 ans avant le précédent, tu te pose toujours la question de l’accueil. Par la critique c’est une chose, par le public c’est ce qui nous tient à cœur, mais nous sommes assez confiants, les concerts ont en général toujours un impact fort et nous avons pas mal de bon retours.

Parlez moi un peu de sa conception, dans quelle direction vouliez-vous aller sur cet album… ? Je trouve que sur ce nouveau disque, vous êtes allez à l’essentiel, y’a pas de temps de morts ou de ralentissement de tempos comme sur le précédent, vous ne faites que bourrez pendant 26 minutes…
La direction la plus évidente pour nous: tout droit, efficace et furieux. C’est ce que nous cherchons depuis la création du groupe, d’année en année nous avons évolué au gré des membres, de nos goûts de l’époque mais toujours avec cette volonté d’aller à l’essentiel. Pour tous les titres composés ces dernières années, nous avons systématiquement eu le réflexe de couper court, pas parce que nous voulions cette orientation pour un album, nous ne composons pas avec l’idée de vendre des albums, mais parce que cela nous semblait évident, c’est ce que nous avions envie de jouer.
Du coup, l’album est le reflet de tout ça, mais ce n’est pas que du bourrinage intempestif. Prends le temps d’écouter, de passer le cap du mur de son et de hargne, tu trouveras pas mal de choses qui rendent les titres très différents les uns des autres, chacun avec son identité propre. Des titres comme " Despair " par exemple, " Greed " ou " Loser ", n’ont pas du tout une structure binaire et simple, c’est là aussi des points qui font l’ambiance de ce disque, c’est rarement linéaire.

Comment s’est passé l’enregistrement des morceaux chez S.Buriez, pourquoi avoir choisi d’aller chez lui pour le disque ?
L’enregistrement s’est très bien déroulé, avec une implication forte de Steph et une compréhension immédiate de ce que nous voulions comme son, comme ambiance. Nous sommes restés 15 jours, pour les prises et le mix, deux semaines de sueur et de bruit du matin au soir pour faire le mieux possible et s’entendre dire: " Oui, pas mal, tu peux faire mieux ! ", et voir effacer la prise… Parfois frustrant et dur, mais très bien, c’est ce qui a permis d’obtenir ce résultat. En plus c’est quelqu’un qui nous suivait depuis un bon moment, un atout de plus. Il a même participé à l’album puisque il nous a fait des backings. Par contre il est vrai que ce n’était pas le choix initial. Nous avions eu l’opportunité de jouer avec NASUM fin 2004, le courant était très bien passé avec Mieszko, et nous avions pris rendez-vous pour l’été 2005 chez lui aux Soundlab studios. Les évènements en ont décidé autrement.
Du coup partir au LB lab devenait le choix le plus évident, et si nous avons un regret c’est celui de la perte humaine, pas de la réorientation.


Un petit mot sur la pochette ?
" Shapes of Misery ". Celles évoquées s’inscrivent à la fois dans l’histoire et le monde contemporain dans lequel l’être humain évolue. C’est plein d’aberrations, d’absurdités, d’inconscience, et c’est dans tout çà que l’être humain prolifère et se complait. La pochette est un résumé de ces atrocités, l’illustration d’un monde chaotique contrôlé par des pouvoirs bien établis et d’une puissance effrayante, d’autant que tout le monde les connaît mais ne prends pas conscience qu’ils font paradoxalement tout pour les supporter. L’armée, l’argent, face à la misère, et contemplant les résultats de la conformation réussie par des médias qui ne font que les appuyer. La foi immonde en ces supports d’ " information " vecteurs d’idées reçues et de crises en tous genres. Nous sommes tous enfermés par cela, et l’observateur se trouve en dehors des limites de ce fonctionnement, et contemple ce monde de l’extérieur des barrières barbelées.

Comme tout bon groupe de Grind/Crust/Power qui se respecte, vous attachez une grande importance aux textes et aux discours engagés, contestataires…de quoi parlez-vous sur cet album ? Quelles ont été vos sources d’inspiration ? L’actualité je suppose ?
Oui, les paroles sont aussi importantes que la musique pour nous. Elles sont engagées et contestataires par réaction envers ce qui nous entoure. Le silence des gens face aux atrocités dans le monde ou à quelques km de chez eux, la manipulation des opinions, l’extinction du sens critique par les médias appropriés, l’exploitation sous toutes ses formes, le cynisme politique, la négation de l’individu, etc, etc…
L’actualité, mais aussi les témoignages directes sont plus qu’une inspiration, c’est une démarche qui j’espère, peut amener des gens à réfléchir sur le contexte actuel de notre époque, et à les faire prendre conscience directement des merdes qui nous entourent pour les rejeter, les dénoncer et agir directement contre. C’est le but de nos paroles, qu’elles plaisent ou non.

Que pensez-vous puisque l’on parle des textes, des groupes de grind qui tournent le style en dérision avec leur imagerie pipi/caca, humour scato… mais qui ont pour certains amené de plus en plus de monde à écouter du grindcore ?
Le grind-core a beaucoup évolué, mais les bases musicales restent en grande partie les mêmes. Par contre c’est vrai que des mouvements se sont spécialisés, et ont choisi d’explorer d’autres voies. Pour nous c’est clair, le grindcore est bien plus qu’une simple musique, c’est un tout avec des principes, des valeurs, qui ne sont souvent pas portées par ces évolutions et mouvements. Que ça puisse attirer du monde, que ça plaise, très bien, surtout si ça peut amener des gens à se poser la question de ce qu’est vraiment ce style, d’où il est venu et de quoi il est porteur. Par contre tout le délire porno gore, on ne cautionne pas du tout, on ne se retrouve pas du tout dedans, en fait c’est autre chose, et cet autre chose on s’en branle.

Cela fait maintenant plus de 15 ans que vous roulez votre bosse dans le milieu, que retenez-vous de toutes ces années passées ?
Un ensemble de souvenirs souvent très cool, des concerts qu’on oubliera jamais. Du plaisir à jouer en live, les rencontres et expériences humaines et musicales. Des grosses fêtes, des potes, des lieux et des orgas excellentes.

Les INSIDE CONFLICT m’avaient dit à l’occasion d’une interview, que jouer après vous, était une véritable épreuve de force, tellement vous vous la donniez sur les planches, comme si une équipe de rugby était passer dessus, que représente pour vous le live ?
La raison de vivre de BLOCKHEADS, ni plus ni moins.
C’est la seule raison pour laquelle nous composons, c’est le moteur fort de notre motivation. Aller quelque part, se brancher, partager cette fureur et pousser les gens dans leurs retranchements, c’est dans ces conditions qu’on prends notre pied, quelles que soient la salle et le nombre de personnes. Après quand tu rencontres un mec à la distro, trempé de sueur et le nez en vrac, qui vient te voir et te dit qu’il a passé un moment exceptionnel, là on se dit qu’on a réussi, parce que ça nous marque aussi. Du coup pour ça, c’est vrai que nous ne ménageons pas nos forces. On est pas là pour jouer des titres tranquilles debout sur scène en regardant les gens, on est là pour suer jusqu’à l’os, cracher nos poumons, s’effondrer sur les planches sous la marée humaine, slammer, aller au bout de nos forces dans la chaleur étouffante. C’est aussi ça qui fait péter les plombs au public, c’est ça que nous cherchons. Cette musique ne peut que te faire tripper quand tu la joue et ça entraîne les mecs à se lâcher avec nous. Certains concerts sont vécus comme des transes collectives.

Puisque l’on parle de concerts, votre meilleur concert ou souvenir à ce jour ?
Beaucoup, peut-être trop pour en faire un tri. Le Moulin de Brainans pour la fête qui a suivie, Les Blasting Days à Besançon ou le Play Fast or Don’t en Tchékie pour l’ambiance plein air géniale. Pour les concerts purs et le public, le choix est trop vaste.

Le pire ?
Peut-être un concert à Epinal en 2004, son vraiment incompréhensible sur scène, du coup on a vraiment rien pu faire et ça s’est ressenti dans la réaction des gens.
Sinon pour l’après concert, clairement celui de Saintes ou après un bon concert, un accueil génial dans un lieu parfait, on a découvert avec NOSTROMO qu’ils s’étaient fait tirer leur matos…

La suite dans les mois à venir c’est quoi ? Y’a une tournée en octobre avec MUMAKIL il me semble ?
C’est en prévision pour la rentrée prochaine.
Prochainement, on va se faire quelques dates dans le sud ouest, puis direction Berlin et Trunov en Tchékie pour l’Obscene Extreme.

Dites moi ce que vous évoque les mots suivants ?
- NASUM ?
Que du bien. Un groupe énorme, des gens chaleureux et ouverts, un manque certain.

- FURY FEST 2003 ?
Chaos et violence. Un très bon moment, impressionnant, mais les petites salles sont aussi souvent d’excellents souvenirs.

- NAPALM DEATH ?
Pas de BLOCKHEADS sans NAPALM, c’est évident. Nous restons tous très influencés par leurs débuts. Attitude & musique seront toujours les qualités indéniables de ce groupe culte.

- Clearstream ?
Manœuvre politicienne ou véritables malversations, on s’en fout. C’est juste encore une fois le jeu du pouvoir qui montre son vrai visage. Le pouvoir pour le pouvoir, pas pour les gens. Les politiciens sont sensés donner l’exemple, être intègres. Quand on voit qu’au plus haut de l’état, de telles pratiques sont monnaie courante, comment se sentir représenté ? Vers où cela peut-il tourner le vote des gens sinon aux extrêmes ? Merci à eux pour cette montée de l’intolérance.

- CPE ?
Le droit du travail est fondamental. Les tentatives de modifications françaises ont été très suivies par les états voisins, désireux aux aussi de s’engouffrer dans la brèche pour remettre en cause des valeurs essentielles. Heureusement qu’il y a eu réaction. Maintenant, le droit d’étudier ne peut pas non plus être piétiné par des minorités, si elles ne sont pas représentatives. Les points négatifs de tout ça restent (encore) les tentatives de récupération par les politiques, après que le mouvement ait pris de l’ampleur spontanément.


Comment vous voyez-vous dans 5 ans ?
Plus matures, plus affûtés, toujours là avec un cinquième album, à concilier le groupe et le reste pour ne rien abandonner.

Quelle question vous auriez aimé que je vous pose ?
Le grind-core est-il soluble dans l’alcool ? …
Plus sérieusement: Quel lien voyez-vous entre le côté tribal de vos premiers albums et la thématique de violence sociale du dernier ?

Un dernier truc à rajouter ?
L’éternel merci.
Rendez-vous aux concerts, salut à tous les groupes qui participent à ce mouvement, à ceux avec lesquels on a partagé des fêtes et des concerts, et merci surtout à tous les gens qui se déplacent pour nous voir et nous soutiennent.