Interview réalisée par Djaycee en Octobre 2019 avec Reuno.


Merci de nous accorder cette interview. La dernière fois doit remonter à 2002 à la CIGALE quand Pustule ouvrait pour vous. Si on remonte le temps on peut parler de la sortie en vinyle d’une partie de votre discographie. Vous avez fait un concours du ticket de concert le plus ancien, je crois que le vainqueur avait un billet de la fin des année 90 ?
Reuno : D’accord. Ce sont les bonnes idées de Athome.
La promo a changé depuis 2002 tu vois avec les réseaux sociaux, on te demande d’être super présent. Il faut faire une vidéo pour une date, pour la sortie d’un disque… on est un peu plus à l’ancienne. Mais on est avec un label avec qui on est raccord.
Les idées qu’ils nous suggères sont tout le temps en raccord avec le groupe.
JC : et l’idée des vinyles ?
Reuno : au tout début de LOFOFORA, on a signé chez Virgin. Virgin a été racheté par EMI et par une autre major. Nous sommes chez Athome depuis au moins 5 albums et cela faisait des années qu’ils cherchaient à récupérer ces albums. C’était l’occasion d’avoir toute la discographie chez le même album.
Les éditions originales sont pour les collectionneurs qui peuvent mettre 150 balles dans des vinyles, désormais les autres peuvent toper les rééditions à 20 balles et ça nous fait plaisir.


JC : Au Hellfest, alors que tout le monde attendait la mainstage 2 on t’a senti un peu sur la réserve d’être programmé si tôt le vendredi. Elle n’était pas si bien que cela cette mainstage ? C’est le running order qui ne paraissait pas adéquate ?
Reuno : j’ai dû être plus ironique que cela, j’ai dû dire " la dernière fois, on a joué pour le petit déj', là, on a joué à 13h et j’espère que la prochaine fois cela pour 16h… " j’ai un côté un peu fouille merde…

JC : Parlons rapidement des projets que tu accompagnes, MADAME ROBERT, MUDWEISER, TAMBOURS DU BRONX, cela change ta façon de voir LOFOFORA ou au contraire, cela te permet d’être plus libre et plus brut sur ce projet ?
Reuno : non cela m’ouvre plus. MUDWEISER cela fait 10 ans que nous tournons. Tout cela m’a permis de me rendre compte que je savais chanter. MUDWEISER m’a décomplexé au niveau du chant sur un côté plus blues. Sur MADAME ROBERT, je ne mets pas de grain dans ma voix, ce que je m’autorise peu sur LOFOFORA. Tout cela m’a permis de me décomplexer et cela sert LOFO. Sur LOFO, il y a des parties chantées...
JC : il y a également le disque de SAPIENS.
Reuno : ce sont des potes, quand Nico m’a proposé un titre, nous bossions juste sur le disque acoustique de LOFO, c’était marrant. Le titre m’a plus. C’est un disque réussi.
JC : cela m’a renvoyé à l’époque SRIRACHA…
Reuno : il y a pas mal de groupes qui ont disparu. Mais tu vois avec le BAL DES ENRAGES, on garde cet esprit…
JC : justement ma prochaine question portait sur la fin du BAL DES ENRAGES, c’est de la lassitude ou un passage de témoin aux NO ONE qui reprennent le chant et les 6 cordes ?
Reuno : Vincent et Phil y sont encore. On retrouve un peu l’esprit SRIRACHA avec les TAGADA et les autres.
JC : avec la photo postée avec un Kmar sur la couv de " Longueur d’ondes ", une moitié de son visage et ton visage.
Reuno : c’est moi qui aie posté cette photo… c’est bien que le collectif se renouvelle. Il y avait un peu de lassitude. Je m’étais entre temps engagé avec les TAMBOURS DU BRONX… faire des covers, ce n’est pas mon truc.
LOFOFORA n’a jamais joué de reprise mis à part pour l’album " Double ". Faire des covers c’est un peu usant. Si je ne suis pas en train de créer, je commence à devenir très chiant…
Plutôt que de se forcer, j’ai préféré arrêter, mais j’ai la chance de pouvoir choisir ce que j’ai envie de faire.

JC : Nous pouvons revenir rapidement sur le dernier disque sorti avant de parler du prochain. " Simple appareil " a pris tout le monde à contrepied… en tout cas merci de m’avoir fait découvrir STILL… j’adore ce duo. Je t’ai vu regarder le groupe avec des yeux de gamins pendant leur set à la Maroquinerie.
Reuno : ils ont assuré et ont mis tout le monde dans leur poche. Ce sont des amis et je ne te cache pas qu’avoir un groupe avec uniquement deux personnes c’est l’idéal vu le dégagement de scène de la maroquinerie.
Il n’y a pas eu de déclic sur le disque acoustique. C’était une idée de Phil. Phil a bien insisté pour l’acoustique. Daniel a embrayé ensuite et je leur ai dit : " allez-y composez et je verrai… "
JC : rien à voir avec le départ de Vincent ?
Reuno : Non rien à voir avec le départ de Vinvin. Et puis on nous a dit que Kevin serait tenté de jouer avec nous et cela s’est fait. Kevin est un super batteur, c’est un tueur à gage. Kevin est sur un projet avec un groupe nordique, il sait tout faire.


JC : Parlons de " Vanités ", retour à la distorsion après " Simple appareil ", on passe du tout au tout ? C’est Vincent qui vous a manqué et cela a généré cet énervement ?
Reuno : non pas du tout, on ne va pas suivre les volontés d’un Calaisien…

JC : La pochette et le titre interrogent. Le cabinet des vanités est un rite initiatique franc maçon ou c’est juste notre finitude que vous interrogez ?
Reuno : non pas du tout. Merde ! On va être classer dans les groupes francs-maçons… Non je ne savais même pas qu’ils utilisaient cela.
La pochette a été faite par Phil et il nous l’avait proposé pour l’album précédent et on est parti sur le sens des vanités. On rappelle qu’on est mortel et qu’il faut arrêter de se prendre au sérieux et de prendre de la distance.
Cette idée de vanité colle bien à l’époque actuelle.
Le début des vanités [je ne veux pas faire mon prof d’histoire mais c’est intéressant] est quand un empereur romain qui revenait victorieux, il se la racontait. Mais un gars derrière lui répétait " memento mori ", " rappelle-toi que tu vas mourir " pour qu’il ne prenne pas le melon. Avec les selfies, on a un peu cela. Et la pochette est une réaction à tout cela.
JC : Dans le livret, la scène est prise du dessus avec des photos de vous enfants, des pass' photos des précédentes tournées… c’est une sorte de bilan ?
Reuno : c’est la table de la pochette que tu vois du dessus. Au départ, quand on a eu cette idée de pochette, il y avait ce crane que Phil avait fait pour une expo et donc nous l’avons réutilisé.
JC : L’impression qui ressort de ce disque c’est un retour aux sources.
Reuno : disons qu’à la fin de la tournée acoustique, cela nous démangeait d’envoyer le pâté. Plus qu’un retour aux sources de chacun, cela a été un retour au " pourquoi nous faisons de la musique énervée ". Doudou nous a gratifié de riffs teintés de thrash.
Si je fais cela, c’est qu’un jour gamin j’ai écouté un disque de METAL URBAIN et cela nous rappelle nos premiers amours BLACK FLAG, BAD BRAINS… je suis vraiment un fan de la scène hardcore des années 80 et 90.
Il n’y a jamais de briefing sur une teinture d’album et il n’y a pas non plus de direction artistique. On sort ce qu’on a dans les tripes et on voit à quoi cela ressemble et on essaie d’assembler le tout pour faire un ensemble assez homogène.

JC : Au niveau des textes, on te sent toujours énervé par ce qui nous entoure. Les fauves semblent faire écho au titre avec STUPEFLIP, le travail c’est la torture ? " J’ai trop trimé je ne suis plus qu’un travail ".
Reuno : la manière dont pour foutre les gens dans la merde on appelle cela un plan de restructuration du personnel… ou un " plan de sauvetage de l’emploi ". Tout ce " novlangue "…
J’ai 50 balais et je n’ai jamais bossé à l’usine mais des gens qui ont trimé toute leur vie tu vois ce que cela fait pour eux. J’ai du respect pour les gens qui n’ont pas un boulot gratifiant, je viens d’une famille d’ouvriers.
Et puis de toute façon, il y a 3 papas sur 4 musiciens. Quand tu es parent, tu ne peux pas être négatif, tu as besoin d’une vision d’avenir pour tes enfants.

JC : Un titre comme le " Refus " semble résumer la pensée LOFOFORA : un constat acerbe et sans concession. Le deuxième extrait est " Le Venin ", tu critiques les réseaux sociaux et les vies virtuelles qui s’y créent. Un anonymat qui permet de cracher le venin ?
Reuno : effectivement, les réseaux sociaux permettent à chacun de cracher son venin de manière gratuite. C’est un terrain de haine que l’ont fait fertiliser.
J’ai regardé un reportage où les haters sont mis face aux personnes sur qui ils ont craché leur venin et les gens sont supers fiers de leurs saloperies c’est complétement fou. Quand je vois le temps que certains passent sur leur téléphone, je préfère créer des choses pour moi que faire du bénévolat pour une des plus grosses entreprises au monde. C’est bien cela la vérité. Ce n’est pas un outil utile mais tout le monde fait du bénévolat pour fournir du contenu à Facebook. Tout le monde donne son avis et se croit expert de tout.

JC : Dans " Le mâle ", je vois un rappel à " Macho blues ", rien n’a changé depuis que la première chanson est sortie ?
Reuno : pas vraiment, les gens se révèlent. Je suis papa, j’ai deux filles, la place des femmes dans la société est quelque chose qui m’intéresse. On fait la fine bouche sur les différences salariales alors qu’avec une loi cela pourrait être réglé…
J’ai eu vent aussi de ce qu’on appelle les masculinistes, je ne sais pas si tu sais ce que c'est ?
JC : non jamais entendu parler.
Reuno : et bien, ce sont des mecs qui disent que si une femme vient bosser avec du rouge à lèvre et une mini-jupe, c’est une agression sexuelle… il y a des sites de forum de masculinistes… Ce sont des puceaux frustrés… comme dans le venin, que se passe-t-il dans ton crâne. On vit dans une société où les féminicides et les sites pornos se portent bien, je ne fais pas le lien entre les deux mais juste pense à ta sœur, ta mère et ta fille…
J’ai une petite fille de 5 ans et elle commence à se poser plein de questions. Elle se pose la question sur le monde qui n’est pas paritaire. Pour les jouets, elle se dit que les poupées, il n’y en a pas pour garçons par exemple. Elle était révoltée qu’il n’y en ait pas de sa marque préférée pour les garçons.


JC : J’ai vu que Yoda faisait toujours partie de la LOFOteam sur scène mais cela va faire 30 ans que vous bossez ensemble… une éternité dans le monde de la musique non ? Je me rappelle que tu le remerciais déjà lors des SRIRACHA tours…
Reuno : il n’y aura pas de Yoda sur la prochaine tournée car il est bien investi dans le rap. Mais tu vois c’est un mec qui conduisait le camion et parfois nous n’avions pas de bonnes lights, il s’y est mis et c’est devenu un éclairagiste de renom et il nous suit depuis des années.
On est quand même une bonne équipe de potes avec les anciens de SRIRACHA.
JC : J’aurais envie de te poser une question concernant EKOVA, que deviennent-ils ? J’ai vu qu’Arash faisait des concerts en solo ? Et Dierde ?
Reuno : pas de nouvelles d’eux. La dernière fois que j’ai croisé la chanteuse, elle chantait sur de l’électro. Medhi joue sur SPEED CARAVAN. C’était un groupe exceptionnel.

JC : Et la question que je ne t’ai pas posée et la question à laquelle tu aurais souhaité répondre ?
Reuno : aucune idée, on me les a toutes posées ces questions… après 20 heures de train ce week-end je suis cuit…
Si ! on va faire un clip sur " Le venin ". Je suis très content car un a rencontré un mec qui s’appelle Michel Leray qui est réalisateur. On l’a croisé à " Main d’œuvre ", tiens bah voilà la question que tu ne m’as pas posé : " tu sais ce qu’il s’est passer à Main d’œuvre ? " JC : une asso culturelle s’est faite virée par la mairie.
Reuno : oui, disons que c’était un endroit où il y avait des studios de répétitions, des expositions, un restaurant, une salle de concerts, 70 employés et un maire Les Républicains qui est passé dans une ville comme Saint-Ouen les a foutu dehors pour dépenser un truc à 10 millions d’euros pour faire un truc à son nom.
Main d’œuvre c’est quand même un endroit où on répète depuis longtemps.
JC : ils ont confisqué le matos ?
Reuno : non, ils ont mis des plaques anti-squat et les musiciens pouvaient venir chercher leurs instruments deux par deux accompagnés par la police… C’est la connivence qu’il y a eu entre le préfet et la mairie, envoyer les CRS pour cela… ils ont certainement mieux à faire.
Pour faire le lien, on voit un mec qui vient accompagner son fils à un cours de batterie et vois les fly-cases LOFOFORA, lève la tête et nous reconnait… et tu vois le mec a fait les guignols, Groland… on ne peut pas rêver mieux pour faire des clips de LOFOFORA. Je pense que l’on va faire un paquet de clips avec lui. On se régale. C’est assez cool d’avoir un clip qui nous ressemble.
Aujourd’hui, la musique est forcément avec de l’image… c’est bien d’écouter ton disque à la maison, ne serait-ce qu’écouter un album entier de nos jours cela a disparu. Les gens manquent d’imagination de nos jours alors que l’imagination, c’est de la drogue gratuite…
JC : j’adore, je reprendrai en citant l’auteur…
Reuno : j’en suis persuadé. Déjà tout petit, je m’en suis rendu compte. C’est une fenêtre que l’on a tous, il suffit juste de l’huiler pour qu’elle ne reste pas bloquée.

JC : Merci Reuno pour cet entretien, c’est un plaisir d’avoir pu parler de ce dernier album qui est du pur LOFOFORA.
Reuno : Merci à toi et à Nawakposse.

Un grand merci à Reuno pour sa disponibilité tant pour l’interview que pour le Shooting et au label A(H)home qui m'a permis de remonter le temps.
Des excuses aux intéressés pour la diffusion tardive de l’interview, des problèmes personnels m’ayant éloigné de ma passion quelques mois.