Wyatt E.


Interview réalisée par DamDam au Motocultor 2025 à Carhaix
avec Sébastian, Stéphane et Jonas.


Dans la cadre du Motocultor Festival 2025, j’ai eu l’immense plaisir de démarrer ma carrière de jeune intervieweur pour Nawak Posse (à presque 40 berges !) par une rencontre avec le groupe WYATT E. Basé dans la région liégeoise, la formation de Doom/Drone Metal vient présenter son nouvel album " Zamaru Ultu Qareeb Ziqqurat Part 1 ". L’occasion d’échanger avec Sébastian, Stéphane et Jonas autour de la production du dernier opus, du travail de recherche effectué autour des langues anciennes ainsi que leur regard porté sur la scène actuelle dans une ambiance décontractée.

Est-ce que vous pouvez vous présenter et expliquer ce qu’est exactement WYATT E. aux lecteurs de Nawak Posse ?
Sébastien : WYATT E. c’est un groupe de doom et de drone qui vient de Belgique. On a récemment sorti un disque en 2025 sous le label Heavy Psych Sounds. Sur ce disque figure deux chanteuses qui malheureusement ne sont pas avec nous en tournée. Tomer Damsky qui est une chanteuse de Jérusalem et Nina Saeidi qui est à Londres, mais d’origine Iranienne.

Question toute bête mais d’où provient le nom WYATT E. ?
Sébastien : ça vient de Wyatt Earp, quand on a commencé le groupe Stéphane et moi, il n’y avait pas de batterie et ça sonnait vraiment comme la bande son d’un western post-apocalyptique, puis on s’est dit que Wyatt E, ça claquait bien. Et quand nous avons changé de style et accueilli un batteur dans la première mouture du groupe, sous sa forme actuelle, on a décidé de garder le nom parce qu’il y a beaucoup de groupe dans le genre qui s’appelle Witch-machin, Weed-truc donc on ne voulait pas faire une autre référence au Doom.

J’avoue que c’est un peu bouché !
Sebastien : C’est un peu bouché, il n’y avait plus de combinaison possible.
Stéphane : Avec Chat GPT on peut s’amuser à en trouver… il n’y a pas un générateur ?
Sébastien : WeedWitch ! Ca aurait pu être truc mais…

Ça n’a pas été fait encore à mon avis !
Sébastien : si ça a été fait mais c’est juste que le groupe n’est pas connu ! (rires)

Wyatt E.

Tu parlais du dernier album " Zamaru Ultu Qareeb Ziqqurat Part 1 ", comment s’est passée la réalisation et la production de cet album ?
Jonas : D’abord une étape de pré-production et composition, où on s’est retrouvé à 4 au local (à Waremme près de Liège) puisqu’on a fait l’album à deux batteurs. Avec un micro au milieu de la room, en jouant tout ce qui nous passait par la tête.
Sébastien : on faisait 5 à 6 répétitions de 3 à 4 heures.
Jonas : il a fallu faire une grosse part de sélection, et puis de là, Sébastien et Stéphane ont réorganisé le tout en rajoutant des couches et des couches pour en arriver où en sont les compos maintenant. Puis l’enregistrement s’est fait entre Bruxelles et Waremme de manière traditionnelle avec les batteries d’abord, puis basse et guitare. On a co-produit avec Tim De Gieter (DOODSESKADER, ex-AMENRA), un terrible producteur qui a compris tout de suite le projet.
S’il vient d’AMENRA, les productions sont plutôt chiadées et costaudes…
Jonas : il a compris le délire tout de suite, on n’a pas eu vraiment à le briefer, Stéphane ayant fait un énorme travail de pré-production, Tim a juste rajouté sa touche.
Sébastien : il a même fait certains choix drastiques que nous n’avions pas demandés mais qui se fondaient parfaitement avec le projet. Il lit bien les choses.

Vous chantez en araméen et en akkadien. Quel travail de recherches faites-vous autour des langues anciennes ?
Sébastien : Une fois que c’est enregistré, il y a tout un travail de recherches des thèmes plus poussés, on a une idée assez claire pour savoir comment la musique va sonner. Est-ce que cela ressemble à une poursuite ou une marche, là, j’interviens autour du décorum et du thème que je développe en faisant une recherche historique sans prétention ! Je n’ai pas de formation d’historien, c’est vraiment une passion pour les langues anciennes au point où, à force de voir des retranscriptions de tablette, je finis par reconnaitre les mots et acquérir un vocabulaire. Quand on a rencontré Nina (Saeidi) qui a cette même passion, on a beaucoup échangé.
Jonas : Sur les prononciations, pour enregistrer en studio, ce sont des langues qu’on entend nulle part, on peut s’inspirer des écrits qui décrivent un peu la phonétique mais ça reste très vague.
Sébastien : Il y a aussi tous les universitaires qui font des recherches en linguistique, notamment à l’université de Londres qui est notre grosse base d’inspiration. Par imitation tu sais comment construire une phrase. On se risque de temps en temps à une composition, mais c’est généralement de l’adaptation de texte existant. Au-delà de ça, Tomer (Damsky) maitrise parfaitement l’araméen en plus de l’hébreu, elle a une formation de musicologue. Elle fait des recherches sur d’ancien poèmes qu’elle va mettre en musique, on est sur un travail de doctorant.

On parle de Nina et de Tomer depuis toute à l’heure, comment la collaboration est née avec ces deux chanteuses ?
Sébastien : Tomer, on l’a rencontrée en tournée avec son groupe, et naturellement cela s’est fait. Maintenant, elle habite à Barcelone, elle fait une thèse de recherche à l’université d’Anvers, c’est beaucoup plus facile. Et Nina, elle émettait des doutes concernant la légitimité du projet sur le premier disque, elle m’avait invité à lui répondre, et de fil en aiguille, on est devenu potes. Et on l’a invité plusieurs fois à Bruxelles pour enregistrer.

Wyatt E.

Vous avez un style musical très cinématographique, faisant penser à Dune notamment. Vous avez travaillé sur un film " Bowling Saturne ", comment est venue cette collaboration ?
Stéphane : C’est une proposition de notre éditeur, en 2021, pendant le COVID où nous avons pu consacrer deux bons mois à la composition sur ce film. On a rencontré la réalisatrice (Patricia Mazuy), ainsi que la monteuse. La collaboration a été facile parce qu’ils étaient vraiment ouverts au travail avec un groupe de musique. C’était très intéressant et artisanal. Assez stressant au début parce qu’on n’avait jamais fait de musique de film avant, mais ça a été vraiment très fascinant. On a eu la chance de tomber sur Patricia qui savait parfaitement ce que c’était de travailler avec des musiciens. Ca nous a permis d’améliorer notre façon de composer, notre production.

Concernant vos principales inspirations ? Aussi bien musicale, filmique ou artistique ?
Stéphane : Sébastien est un grand mélodiste, il adore jouer du mélodica ! (rires) Comme toute personne aimant l’art, on absorbe tout ce que l’on voit, ce que l’on entend, ce que l’on ressent. On vient tous d’univers un peu différents et, à notre manière, on retranscrit notre background tout particulièrement dans cette musique-là.
Sébastien : Il dit grand mélodiste mais c’est lui qui a sauvé le disque à la dernière minute, il manquait un morceau et il nous a chiadé ça en 5 minutes !
Stéphane : C’était pour " Bowling Saturne " ça, on a tous nos moments de fulgurance !

Vous avez enregistré au Roadburn en live aussi bien en vidéo qu’en audio, comment ça s’est fait ?
Stéphane : Pour le projet " ATONIA ".
Jonas : C’était une grosse collab avec FIVE THE HIEROPHANT.
Jonas / Stéphane : Mais c’est Sébastien qui s’occupe des détails (rires).
Sébastien : En fait, on a fait un split single avec FIVE THE HIEROPHANT, la première face pour eux et la deuxième pour nous avec Tomer pour notre première collaboration, le Roadburn a reçu ce disque et nous a demandé si on pouvait se mettre tous ensemble et ne faire qu’un groupe.
Jonas : En fait c’est une commande, il y avait des choses qu’on pensait utiliser pour le prochain WYATT qu’on a utilisé pour ce projet. On a composé des choses ensemble, on s’est vu une fois pour mettre en place le set et enregistrer brièvement avec des répétitions et l’ingé-son qui nous suivait sur cette date-là, on avait déjà cette base pour bien travailler le set. Puis le jour du concert, l’ingé-son a tout enregistré et on a mixé l’album ensemble.
Sébastien : Comme c’était un one shot, on s’est dit que ce serait con de ne pas en garder une trace, pour une collaboration internationale comme ça.
Stéphane : C’est compliqué ensuite de se voir en studio.
Puis le cadre du Roadburn est assez mythique, pour un groupe comme le vôtre, ça doit être fou de jouer là-bas.
Stéphane : C’est la Mecque oui !
Jonas : On jouait la veille avec WYATT E et le lendemain avec ATONIA, les deux concerts étaient phénoménaux. On a eu un accueil auquel on ne s’attendait pas, c’était vraiment très positif. A tel point qu’on a voulu continuer ce projet ATONIA, c’est en court, sans les anglais malheureusement.
Sébastien : Avec une nouvelle mouture du projet.
Jonas : Avec toujours Tomer impliquée, et Nina du coup aussi.
Sébastien à Jonas : J’aime bien quand tu teases comme ça…
Jonas : Y’a des choses en travaux mais je vais me taire du coup (rires).
Stéphane : on n’a pas précisé que Nina jouait aussi dans un groupe LOWEN.
Sébastien : groupe death-mélodique un peu prog’ et un peu doom. Qui a une sacrée presse en ce moment.

Quel regard portez-vous sur la scène stoner / doom actuelle ?
Sébastien : Je trouve que c’est une scène un peu conservatrice, pas dans les mœurs, mais dans la façon d’être…
Elle a un cahier des charges à respecter.
Sébastien : C’est ça ! Je parle au nom de nous trois, mais ça nous ennuie un peu. Ce schéma et ces répétitions obligatoires de cliché.
Jonas : ça n’empêche pas les bonnes surprises non plus, quand on joue dans des festivals comme ça, on découvre des groupes où on se dit " woaaah ! ". Ils sortent du lot, parce que ce sont des gars qui osent faire quelque chose d’un petit peu différent.
Stéphane : et puis on a aussi des références qui viennent de là. ELECTRIC WIZARD, SLEEP
Sébastien : Bien sûr, de la même manière que pour le nom, on ne se voyait pas être un énième groupe. C’est une scène que j’aime énormément dans laquelle on correspond à 100% il me semble. Mais on voulait être l’élément un peu différent. Je pense qu’il y a une recette pour que ces gens-là aiment. Au début de WYATT, on était plus parti sur du post-expérimental, post-rock, on pensait partir plus là-dedans, et par la force des choses c’est la scène doom qui nous a accueilli. C’est un merveilleux public, qui est très soutenant. C’est ce qui fait que notre relation avec le public fonctionne, on propose un truc différent. Autant des fans de black métal atmosphérique que de post rock peuvent se retrouver dans WYATT, et en ça, on est chanceux. Ça peut aussi être un plafond de verre, puisque tu ne rentres pas dans toutes les cases.

Wyatt E.

Si vous aviez la possibilité de faire un " supergroupe " avec n’importe quel(s) musicien(s) ?
Jonas : je bosserai bien avec Tim (De Gieter), ce qu’il fait entre DOODSESKADER et les productions qui passent par lui, ça va du hip hop au black en passant par le doom. Le gars a une ouverture d’esprit dingue, il voit souvent juste artistiquement parlant. Travailler en studio avec lui, plus pour la composition que le live où il y a assez de choses.
Sébastien : Pour moi ce serait plutôt des compositeurs classiques comme Fazil Say qui est un compositeur turc que j’adore sinon si on doit rester dans la scène, un groupe comme YOB et OM évidemment, la référence à OM on nous la sort à chaque interview…
Je n’ai pas osé !
Sébastien : Je vois le rapport, je l’entends même si OM a été un groupe marquant dans l’évolution de WYATT E. J’ai cet amour pour un groupe qui s’appelle MASTER OF MUSICIANS OF BUKKAKE qui est un groupe de Seattle avec des membres qui ont joué dans EARTH à l’époque, ils étaient 7 sur scène : deux batteries, des synthés, des violons et il y avait une sorte de mariage paien entre le groupe et l’audience qui était parfait ! C’est un peu ma référence ultime et si on pouvait collaborer avec ce genre de musicien ça me plairait aussi. Mais Tim est le bienvenu, plus on est de fous plus on rit !

Pour finir, que peut on vous souhaiter pour la suite ?
Stéphane : Un max de pognon ! (rires).
Jonas : Du succès et qu’on puisse continuer à faire ce que l’on fait. Qu’on puisse travailler dans les meilleures conditions.
Sébastien : Le truc c’est qu’on est ce genre de groupe où on est toujours en attente d’un next step. On le franchit à chaque étape et parfois on manque de patience. Aussi, comme on est des nobodies, on vient de nulle part, on n’a pas la connexion qu’il nous faudrait pour faire tomber la pièce du bon côté, ça ne va pas nous tomber dessus parce qu’on est un peu trop expérimental. Après on joue un peu de malchance, mais on ne doit pas se plaindre non plus, on fait des supers fests, des supers rencontres, des supers tournées. Stéphane parle de pognon, l’argent n’est pas le moteur mais ça permettrait de faire des choses en mieux.
Stéphane : D’avoir de meilleures conditions en général.
Jonas : Même pour les enregistrements, prendre le temps sans se soucier du côté financier. Surtout avec un projet comme WYATT qui nécessite ce stepback, se dire qu’on a 6 mois qui sont couverts, on ne s’inquiète pas.
Sébastien : Ce n’est pas comme faire un album avec Steve Albini par exemple, où il te met dans une pièce et en quatre jours ton album est plié. On a besoin de faire beaucoup d’aller-retour entre la production et les studios, et même sur scène on fait un travail constant d’équilibriste pour que tout fonctionne et qu’on puisse proposer quelque chose de qualitatif. Franchir ce step " financier " nous permettrait de toucher plus de gens et de mettre plus de moyens dans nos productions.

Merci les gars pour cette première, et bonne continuation pour WYATT E.