Les 30 ans des Eurockéennes : le grand retour !
La principale raison de mon désintérêt pour le festival ces 3 dernières années était sa programmation. Toujours plus accessible et familiale, elle en oubliait presque les passionnés. Alors, lorsque furent dévoilés des noms tels qu’ALICE IN CHAINS, AT THE DRIVE-IN, NINE INCH NAILS, PROPHETS OF RAGE ou encore QUEENS OF THE STONE AGE, les deux réactions possibles étaient soit :
- la béatitude tant le retour aux line-up du début des années 2000 était inespéré ;
- le dénie, en se disant que les programmateurs nous avaient fait un Guillotin, ce genre de mensonge qui cache une réalité bien moins glorieuse.
Mais ne soyons pas mauvaise langue, pour ses 30 ans les Eurockéennes ré-honore son nom via des têtes d’affiches aussi somptueuses qu’orientées Rock. Pas de doute, ça va fracasser des noix de coco !

Pour bien commencer : la métamorphose du camping.
Tout bon festivalier connait le principal souci du campeur : transporter son barda du véhicule à son futur emplacement. Et inversement lorsqu’on quitte les lieux, même si généralement, les packs et canettes éliminées pendant le séjour allègent le supplice. Ce passage obligatoire, où les plus astucieux créent toutes sortes de subterfuges à base de cagettes sur diables et où les plus vilains empruntent des caddies aux supermarchés (pas très maniables pour l’occasion, faut penser à la terre petit diablotin) est un supplice, tout particulièrement en plein cagnard. Cette torture, la team des Eurockéennes l’a réduite de moitié par rapport aux années précédentes via deux facteurs :
- en rapprochant largement le parking des campeurs de l’entrée du camping ;
- en permettant aux campeurs de concentrer le camping bien plus proche de cette entrée.
Ceci a d’ailleurs l’excellente conséquence de rendre un camping habituellement étendu, plus compact. La sensation de petit village était par conséquent bien plus présente que lors de mes derniers passages en Terre Sainte, ce qui induit une sensation de proximité fraternelle avec l’ensemble des festivaliers.
Le traffic via le portique d’entrée du camping est fluide malgré quelques idiots qui pensaient entrer avec leur couteau papillon, et l’incompréhension de ceux qui pensaient déboucher leurs bouteilles ou ciseler leur merguez avec leur couteau suisse. Ok, soyons sport, même si c’est super pratique un couteau suisse, ça reste une arme blanche, et pour ne pas épiloguer sur le sujet, les inévitables bastons étaient de la partie cette année encore.
Côté ambiance sur le camping, elle semble plus mûre que d’habitude et c’est avec une facilité déconcertante qu’on sympathise avec des voisins aussi intéressants qu’ouverts, lorsque les années précédentes étaient plus dédiées à se marrer avec ce mec qui fait un hélicobite après quelques grammes dans le sang et dont on a oublié le prénom dès la journée suivante. Et si ça a son charme de faire n’importe quoi n’importe quand, chiller tranquillement avec son voisinage c’est d’autant plus appréciable.
Cette année également, ayant pourtant installés notre campement en plein cœur de l’action, le taux de " APERO ! " ou de " RESPECTEZ LES GENS QUI DORMENT " époumonés restait totalement raisonnable, au profit de bandes de potes qui profitaient plus humblement du festival, garantissant une ambiance localisée tout en permettant aux plus cuits par l’alcool ou grillés par le soleil, de récupérer. Alors, est-ce que le public Rock est plus respectueux ou moins chiant que le public plus branché musique de masse ? Mystère insoluble.
Enfin, beaucoup plus compact que les années précédentes, le camping se divise en deux parties distinctes, à savoir la zone des tentes et la zone des sanitaires et stands de restauration et de merchandising. Les deux zones sont donc séparées par une zone arborée et l’espace où il est possible de découvrir de sublimes victuailles à déguster sur des transats mis à disposition, ne vient pas briser la relative tranquillité des campeurs.
Plus intelligemment agencé qu’auparavant, peuplé d’habitants plus respectueux dans leur manière de faire la fête, le camping peuplé de gens déguisés en bananes ou de cyclistes à coupe mullet est la première excellente surprise de cette 30ème édition. Premier bon point !

Hey, j’suis pas v’nu ici pour dormir, OK ?
Bon, le camping, c’est bien beau, mais vu la programmation et les autres bonus prévus sur la presqu’île du Malsaucy, on a pas le temps de niaiser près des tentes. Et parce que de prestigieux noms ne suffisent pas, les Eurockéennes v.30.0, c’est plein de surprises qui combinent le fait de marquer le coup et de marquer les festivaliers.
Déjà, faut bien l’avouer, avoir droit à un show bleu / blanc / rouge de la part de la Patrouille de France, c’est grave la classe. Pas moins de 8 avions militaires alpha-jets fendent les cieux en répandant des fumigènes aux couleurs du drapeau tricolore depuis le ventre des appareils. L’escadron sur-entraîné ne cesse de passer au-dessus de nous, faisant démonstration de diverses figures aériennes millimétrées. Le spectacle est à couper le souffle pour la rigueur du positionnement de chaque pilote par rapport aux autres en dépit de la vitesse, et subséquemment, car cette prouesse représente un réel danger pour chaque pilote engagé dans la démonstration. La moindre erreur de positionnement, un décalage de vitesse entre un appareil et les autres pourrait avoir des conséquences dramatiques pour l’ensemble de la formation. Mais comme à leur habitude, l’apparition fugace de ces danseurs aériens est irréprochable et sans bavure ! Et ne soyons pas jaloux de cette talentueuse Patrouille, parce que les Eurockéennes nous permettent à nous aussi de nous rapprocher du ciel, grâce à… Une Grande Roue ! Je ne parle pas de La Roux, ni de Macklemore, mais bien d’une Grande Roue comme à la foire. Disposée proche de l’entrée du festival, l’élégante structure est immanquable. Il est étonnant de constater que pour en faire un tour, on n’attend que très peu de temps. Par conséquence l’opportunité de surplomber la presqu’île du Malsaucy propre à cette édition est un moment qu’il est impardonnable de ne pas avoir vécu. De jour, peu discrète par sa taille, elle prend toute sa dimension spectaculaire lors de la nuit tombée puisqu’elle est illuminée d’un bleu électrique qui va accentuer un paysage déjà festif. Continuons avec les bonbons visuels apportés au site, avec le Land Art de l’artiste belfortain Saype. Non content d’avoir affublé d’une œuvre écologiquement respectueuse une petite partie du gazon des Eurockéennes, il a également gratifié Belfort d’une fresque de 6000m2. Ses peintures éphémères, en plus d’être très soignées, ne dégradent pas l’environnement puisque les produits qu’il utilise pour les réaliser sont à base de lin. Et le bouquet final de ces Eurockéennes, c’était bel et bien ce splendide feu d’artifice qui ponctuera la soirée d’ouverture du festival, alors même que la pluie cherchait à décourager les plus aventureux. C’est pendant plus d’une dizaine de minutes qu’une succession d’explosions très colorées viennent décorer le ciel et parader avec les étoiles.

Retour aux sources : une programmation résolument Rock !
On va pas se leurrer, vous lirez sûrement 5% de cet article pour avoir mon ressenti par rapport à votre artiste fétiche. Ce que je vous propose, plutôt que de vous parler de CHAQUE concert vu CHAQUE jour, c’est de vous parler des noms qui ont marqué, en bien comme en mal, ces Eurockéennes.


TEXAS - Grande Scène - C’est donc ça, " la " légende ?
On attaque cette programmation avec la première vraie tête d’affiche de l’édition : TEXAS. Pour avoir grandi avec le groupe écossais un peu malgré moi, via la radio et les chaînes télé musicales, je me dois de respecter ce groupe culte sans pour autant y trouver d’intérêt particulier. Parce qu’ils sont à l’origine de ce genre de morceau que t’écoutes parce que c’est pas désagréable, mais ça s’arrête là. Or après plus de 30 ans de carrière, on est en droit de s’attendre à un show anthologique. Et il n’en est rien ! Certes, c’est plaisant de voir Sharleen Spiteri en chair et en os, c’est touchant de vivre " Summer Son " en vrai mais le caractère trop épuré d’un groupe à la scénographie minimaliste rend ce premier live d’une mollesse flagrante. Sharleen est pourtant énergique et communicative, s’amusant souvent avec le public, mais la sobre balance sonore appuie sur le Pop Rock trop simple de l’emblématique formation. Déçu, donc, TEXAS fait office de maigre amuse-gueule peu convaincant.

BIGFLO & OLI - Chapiteau Greenroom - Le cute-side du Rap game français… est vraiment bienveillant !
" Le phénomène " BIGFLO & OLI m’est complètement passé par-dessus. Le Rap de mecs sympas empruntant leurs codes à la Pop, je suis pas fan. Mais j’ai besoin de comprendre l’engouement, alors allons voir les deux frangins. Et en fait, je percute quasiment instantanément : le duo tient le public comme personne en dégageant une aura de bonhommie et de bienveillance assez extraordinaire. Les morceaux ne sont pas incroyables, tout ce que je découvre ne me fait pas l’effet de chef-d’œuvre du Rap tel OXMO PUCCINO, mais les textes sont très bien écrits, même si un peu naïfs par moments. La surprise est de taille, parce que les morceaux ne m’emportent pas, mais eux, si. Ils chérissent leur art autant que les gens qui leur permettent de le propager. Un tel respect, un tel amour du public, ça fait beaucoup de bien. C’est un des moments de grande sincérité de ces Eurockéennes.

FATIMA YAMAHA - Loggia - Simple et efficace
FATIMA YAMAHA est musicien seul, sourire aux lèvres, balançant une succession de pépites fraîches et revigorantes. Son Électro chill et vintage est un régal tandis que sa simplicité déconcerte. Quelques instruments électroniques pour saupoudrer de beats ses implacables lignes mélodiques, un " What’s Girl To Do " bien senti et une énergie contagieuse font de ce concert un moment doux et mémorable.

PROPHETS OF RAGE - Grande Scène - Fusion avec potalas
Peu d’entre vous ont dû passer à côté de l’un des supergroupe américain les plus populaire de ces dernières années. Et pour cause ! Pour ceux qui ne connaissent pas : prenez RAGE AGAINST THE MACHINE sans Zack De La Roch, des membres de PUBLIC ENEMY et B-Real de CYPRESS HILL, secouez le tout, et vous obtenez PROPHETS OF RAGE.
Mais du coup, c’est quoi ? Du Hip-Hop ? Du Rock ? Une fusion des deux ? Un indice : Tom Morello ! En véritable emblème du Rock, il va honorer l’un des live les plus fougueux de ces Eurockéennes. Mais il n’est pas seul et le reste du crew électrise un par-terre de fans de RATM via bon nombre de reprises telles que " Take The Power Back ", " Know Your Enemy " ou " Guerilla Radio ", pour ne citer que celles-ci. Cela aura pour effet de rendre l’audience totalement hystérique, ne parvenant jamais à se rassasier des pogos les plus féroces de cette année, d’imposants circles pits et autres violentes délicatesses. Les deux frontmen que sont Chuck D et B-Real forment un duo imparable parvenant avec brio à remplacer Zach De La Rocha et Sen Dog.
De leur côté, Brad Wilk et Tom Morello sont toujours animés de cette singulière énergie à la fois bienveillante et contestataire, en atteste le dernier cité qui retournera sa guitare pour nous dévoiler un " Fuck Trump " inscrit en lettres capitales. Finalement, ce n’est que quelques compositions propres à PROPHETS OF RAGE comme " Unfuck The World " qui vont inciter l’un des concerts à la fosse la plus violente, à s’embraser plus encore. Nos protagonistes nous livrent un concert aussi Rock que détendu, galvanisés par un public qui joue le jeu à 200%, nous rappelant l’ambiance des gros festivals américains des années ’90 visibles sur YouTube. Par là, il faut comprendre que les nombreuses bombes de RATM stimulent toujours autant, peu importe la génération. Pour preuve, " Killing In The Name " en clôture de prestation, dernier uppercut digne du meilleur falatlity.
Bref, PROPHETS OF RAGE était l’une des plus grosse claque de ces Eurockéennes.


NINE INCH NAILS - Grande Scène - Un seul pour les gouverner tous
Voilà, on y est : NINE INCH NAILS. Pour avoir vécu le phénomène Indus au Hallenstadion de Zurich il y a quelques années, je dois avouer que c’est l’une des principales raisons de m’être déplacé sur le Territoire de Belfort ce weekend.
Le décor est directement planté avec " Somewhat Damaged " qui illumine un public chauffé à blanc. Son premier riff décharné et malsain retentit. Le groupe est muré derrière une brume qui le rend imperceptible, pourtant surexposé par la lumière. Puis le morceau entame sa phase brutale pour nous dévoiler chaque musiciens sous forme d’ombre, dans des explosions lumineuses. Le son est puissant, poussé à un volume juste assez fort pour frôler l’excessif. Les deux écrans géants verticaux disposés de chaque côté de la scène nous déploient une image noire et blanche très nette, prise sur le vif, depuis la scène.


La caméra se déplace au gré des mouvement des membres de NINE INCH NAILS, tournant autour, se plaçant derrière, tel un œil spectateur qui surveille ses sujets sans relâche. Cette amorce s’avère martiale, avec une base rythmique particulièrement appuyée qui vient taper dans l’oreille. L’exquise " The Day The Whole World Went Away " plonge ensuite le groupe dans la quasi obscurité, à peine éclairé de couleurs uniformes et rendues opaques par cette sempiternelle fumée. Intervient alors " Wish " qu’on ne présente plus et qui a pour effet de faire perdre la raison au public le plus sage. Tribal et impulsif, ce morceau va définitivement entamer un concert qui s’engage dans une course ascendante vers la puissance. Les mouvements du caméraman et la manière d’envoyer la lumière sont très travaillés, traduisant une sauvagerie et une sorte d’urgence qui se superposent aux émotions que renvoient les morceaux. Changeons d’ambiance avec une composition récente, " Less Than ", tiré de l’excellent EP " Add Violence " sorti il y a tout juste un an. Plus synthétique, c’est la juste balance entre l’exutoire et le catchy. Et ainsi s’alterneront les atmosphères brutales, énergiques et celles plus sombres et mélancoliques. La colérique " March Of The Pigs " suivi de la dérangeante " Piggy " puis l’aérienne " The Lovers " qui marque une pause bienvenue. Pause intentionnellement disposée à ce moment là, laissant place à la succession des deux premiers morceaux de leur tout nouvel EP " Bad Witch ", sorti à peine quinze jours avant ce concert. Il s’agit de " Shit Mirror " et " Ahead Of Ourselves ", assez difficiles d’accès pour un fan qui pourra être dérouté par tant d’expérimentations, la saturation et les troubles sonores en étant les squelettes. La voix de Reznor n’y est jamais vraiment intelligible et la sensation de brouillard vocal met mal à l’aise. Pendant ce temps, une lumière de sol minimaliste surplombée de plafonds et murs de lampes lyres tranchent le groupe d’un fin quadrillage lumineux. Ce moment fut sûrement la mort de quelques épileptiques d’ailleurs. Puis, le psychédélique " God Break Down The Door " vient confirmer un NINE INCH NAILS très atypique et à mon sens pas si pertinent en concert… Heureusement, " Copy Of A " revient conquérir une foule un peu perdue par tant de nouveautés. Cette sorte de prequel de " Less Than " va plonger le groupe dans l’obscurité pendant un bon moment. Dès lors, la caméra humaine sur scène est aidée par un autre membre de l’équipe de NIN qui vient arroser le groupe d’un faisceau lumineux puissant, aidant l’œil indiscret à nous dévoiler le groupe au plus proche. Puis " Burn " et " Survivalism " s’immiscent avant la grosse surprise du set : " I’m Afraid Of Americans " ! Ce fameux morceau écrit par le défunt Bowie et produit par Trent Reznor ! Cet hommage à la fois dérangé, perché, sombre et patibulaire rend somptueusement en live ! Le duo vocal que représente le frontman et Robin Finck (guitare) est totalement dans l’esprit du morceau interprété par Bowie. Et le kiffe atteint son paroxysme lorsque " Only " lui emboîte le pas, soit le morceau le plus groove de l’histoire du groupe. Cette heure et demi de délectation musicale continuait avec " The Hands That Feeds " et " Head Like A Hole ", avant de finir sur l’inévitable rappel menant à la déchirante " Hurt ". Le concert se termine sur cette note qui vient frapper en plein cœur, ce morceau tellement simple mais tellement désarmant.


Bref, une fois de plus, l’expérience est magnifique : un spectacle violent et torturé mais visible par tous, tel est le paradoxe que propose NINE INCH NAILS. Tout s’est passé très vite, et à l’exception des 3 morceaux issus du nouvel EP auquel il faut peut-être se donner plus de temps d’appropriation, la setlist était sans faille. L’attitude Rock’N’Roll mais sobre des membres, la direction artistique et les choix qui en découlent, le son incisif, fort et puissant, l’ambiance hargneuse et inquiétante mais séductrice, tout y était pour comprendre qu’on a eu affaire, et de loin, au concert qui a détrôné tous les autres. Monumental, dantesque, millimétré et pourtant tellement franc, sauvage et animal, ce live est une parfaite démonstration de maîtrise scénique. Nous avons eu droit de partager la vision précise d’un projet artistique à l’univers aussi unique que charismatique. Et l’univers de NINE INCH NAILS étant défini depuis longtemps, le groupe ne cesse de le fructifier, de le faire grandir et de le sublimer. Donc, la réussite est totale et l’emprunte laissée sur le sol des Eurockéennes est historique : c’était LE spectacle de ce chapitre 2018, Trent Reznor et sa bande sont définitivement les boss de Rock game.

FFF - Chapiteau Greenroom - Réconciliation avec le Rock français
J’avoue, j’appréhende le " Rock français ". Parce que s’il ne s’agit pas de vieux groupes qui ont fait leur temps comme TRUST, on ne peut plus réellement parler de Rock lorsque médiatisé. Par exemple, comment peut-on estampiller " Rock " un groupe qui reprend le cultissime " Smells Like Teen Spirit " tout en le décharnant de toute son intensité, de surcroît, en prenant une moue toute aussi chorégraphiée que leurs poses lassives ? À mon sens, le " Rock " marketé en France ne l’est que parce qu’il n’en est pas.
Alors quand j’entends parler de la FÉDÉRATION FRANÇAISE DE FONCK, groupe datant des années ’80 que je ne connais que de nom, je pense à des formations un peu vétustes telles que TRUST. Mais curieux de nature (et parce qu’il n’y a rien d’autre), il est temps de se faire un réel avis sur l’emblématique quatuor.
Et sous le chapiteau, je retrouve un groupe détonnant avec des membres pourtant pas tout jeunes. Ce qui frappe d’emblée, c’est ce mélange d’énergie et de cohésion qui donnent au live une telle ambiance naturelle et spontanée. Le frontman en salopette comme le batteur et le bassiste ont l’air de s’approcher de la cinquantaine mais ils bougent comme s’il s’agissait d’un de leur premier grand live, restant très à l’aises avec leurs instruments. Ça groove sévère, ça fusionne les genres, amenant du Funk dans le Rock, embrasant certains passages Pop de riffs proches du Heavy, rendant vraiment bourrin un passage ponctué de cuivre qu’on aurait cru partir en Ska. Ça s’amuse, surtout ! Sur scène comme dans le public. Au micro, Marco Prince est un joyau qui se démène pour nous transmettre sa joie d’être présent, jouant avec le public autant qu’avec sa musique, venant taquiner une foule dès qu’elle essaie de prendre un moment de répit. Le batteur aux allures de pilier du mouvement rasta est époustouflant de rigueur, le bassiste déguisé en un truc indéfini nous gratifie de phases de slaps qui feraient danser un rocher, et la magnifique trompettiste envoûte visuellement autant qu’elle motive musicalement. Ce qui ne veut pas dire que le claviériste et le guitariste, un peu plus discrets, ne font pas leur boulot comme des chefs, à base de soli et de lignes mélodiques ravageuses.
Au final, on retiendra avec bonheur le groupe aux trois " F " diffusés derrière lui. Parce que pour des vétérans du Rock, ils ont tout à enseigner à une nouvelle vague qui semble avoir oublié comment faire d’un live un moment puissant et électrique, un moment de partage où la chorégraphie ne doit pas l’emporter sur la spontanéité et où être un bon musicien n’est pas une histoire de savoir suivre la mode mais bel et bien de savoir faire perdurer une musique sincère qui ne prendra pas une ride dans le temps.
Donc chapeau bas la FFF, j’adore qu’on démonte mes à priori de cette manière !

QUEENS OF THE STONE AGE - Grande Scène - Fantasmer déçoit forcément
Je n’avais aucun atome crochu avec Homme et sa bande à l’époque où ils étaient passés aux Eurockéennes en 2011. Mes potes m’avaient pourtant dit " mais si, tu verras, ça tue ! ". Et ils n’avaient pas menti : un live à l’énergie aussi foudroyante que bon enfant est passé à la vitesse de l’éclair, me laissant sans voix. C’était l’une des rare prestation qui m’a poussé à avouer que je suis passé à côté d’un groupe d’exception pendant de longues années.
Cette année donc, en connaissance de cause, la vapeur était renversée, convaincu que j’allais profiter d’un grand moment de show dont seul QOTSA a le secret. Et en fait, l’ambiance a beau être chouette, l’incontournable désinvolture badass de Josh Homme étant toujours de la partie, une impression de fadeur m’assaille. D’abord pressé de finir ma bière pour en découdre avec les fans dans la fosse, je me ravise et la savoure à deux pas de la régie qui se charge de nous gratifier d’un son sans faille. Mais par rapport à ma première fois, il manque quelque chose… Ah oui ! L’esprit communicatif du groupe qui semble plus professionnel et moins frivole et ludique qu’il y a 7 ans. " A Song For The Deaf ", " The Way You Used To Do ", " No One Knows ", " Little Sister ", " Go With The Flow " ou une version longue de " A Song For The Dead " n’assouviront pas ma soif de show à l’américaine. Pourtant, il s’agit de beaucoup de morceaux déjà vécus lorsque j’ai tant été séduit, jadis. Alors certes, les jeux de lights étaient époustouflants, les gaillards sur scène représentent QOTSA en se pavanant tout en interprétant sans un seul pépin leurs hits. Mais la proximité avec le public n’était pas assez présente pour un live pas aussi fun que prévu. Cependant, cette attitude plus froide qu’à l’accoutumé était judicieuse sur " Make It With Chu ", la love song qui créerait une émeute si absente de la setlist. Ce morceau de velours joué dans cette nuit du samedi, ils décident de la prolonger pour notre plus grand plaisir. Quel touchant moment !
En dehors de ça, je m’attendais à ce fougueux groupe qui rallie tant d’avis positifs, à cet espiègle groupe qui m’a tant fait halluciner voilà des années, et pas juste à un excellent groupe de Stoner. Satisfait par rapport à ce qu’est un bon concert, mais non par rapport à une apparition de QOTSA tandis qu’ils jouent sensiblement les mêmes morceaux à chaque festival depuis des années, je reste sceptique…

ALICE IN CHAINS - Grande Scène - La Légende perdure !
Pour achever la longue liste de poids-lourds du Rock US de cette année, voici la dernière légende encore active du Grunge. Chacun qui aura pu découvrir leur univers connaît le douloureux passé du groupe. On s’était tous demandés, à l’annonce de la reformation du groupe en 2005, l’espoir au cœur, mais l’appréhension au bide, comment William DuVall pourrait assurer le poste de frontman ? Ce rôle qui était occupé par l’homme mythique sans lequel ALICE IN CHAINS ne serait pas le monument d’aujourd’hui. Certes, " Black Gives Way To Blue " et " The Devil Put Dinosaurs Here " sont de très bons albums, mais un océan sépare le studio du live. Alors verdict ?
À quelques détails près, William DuVall n’est pas juste un excellent remplaçant, il est également un membre du groupe à part entière, conférant une âme modernisée au monstre du Grunge. Mais les fans de la première heure ne seront pas déçus puisque 90% de la setlist concerne la première ère ALICE IN CHAINS. C’est à coups de " Bleed The Freak " en tant qu’ouverture, " Them Bones ", des émouvantes " Nutshell " et " No Excuses ", de la cultissime " Would ? " ou de la vibrante " Rooster " venant fermer le bal, que l’on pourra se délecter d’anciens hymnes. Le nouveau leader s’en sort particulièrement bien, parvenant à retranscrire l’émotion de Layne Staley sans le singer, sans essayer d’en copier l’attitude. Et pourtant, la balance n’est pas en sa faveur, puisque, loin d’être mauvaise, elle met clairement les voix en avant. Le moindre faux pas de sa part ou de Jerry auraient été perceptibles instantanément. Il en va de même concernant les soli de Jerry. Le groupe est à l’aise, mais sobre dans sa prestation : chacun est bien présent et incarne leur musique, mais chacun est à son poste et ne peut se permettre de trop bouger sur scène en dehors du chanteur qui fera, lui aussi, le choix d’un show mesuré. Concernant les morceaux récents, on aura droit à " Check My Brain ", " Hollow ", " Stone " et " Your Decision ", qui ne contrastent que très peu avec les autres morceaux en ce qui concerne l’aisance scénique. Et en surprise pas si surprenante, on a également pu (re)découvrir le single " The Only You Know " de " Rainier Fog ", leur prochain album. Abrasif et plaintif mais finalement assez simple, cette nouveauté conserve l’intégrité de l’âme du groupe, nous permettant d’espérer un futur album digne du reste de la discographie.
Au final, pour avoir attendu ce concert avec l’impatience d’un mioche la veille de Noël, je ne regretterai qu’une chose : peut-être un excès d’humilité menant un groupe très carré à chercher à parfaitement jouer ses compositions, quitte à en faire un peu baisser la température durant des temps forts. Concernant " Would ? ", par exemple, où je pensais que tout allait se déchaîner. Ce live aura été un peu trop linéaire à mon goût. En dépit de cette volonté de vouloir trop bien faire au détriment de l’énergie, on constate avec grande joie que le groupe est en meilleur santé que jamais et qu’il honore toujours et encore ses débuts, dévoilant un nouveau morceau plus que probant. Leurs compositions actuelles sont un direct raccord avec " l’ancien " ALICE IN CHAINS. Et si Layne Staley me manque cruellement, on ne peut que se réjouir d’avoir quelqu’un d’aussi humble et adéquat à tenir le front d’un groupe méritant de perdurer jusqu’à ce qu’inspiration s’enlise.

ZEAL & ARDOR - Loggia - " On l ‘appelle l’OVNI "
Le dernier groupe dont je vais vous parler cette année fait beaucoup parler de lui en ce moment. Corey Taylor (SLIPKNOT) en a fait les éloges, la presse spécialisée s’en abreuve, et leurs quelques clips, en plus d’être super bien foutus, recueillent l’assentiment général. Mais pourquoi ? Eh bien, parce que comme l’annonce l’étiquette sur la prog’ des Eurockéennes, le genre musical est exotique : du " Black Metal Gospel " (si on voulait être totalement juste : du " Black Blues’N’Roll " avec du Gospel de temps à autre).
Il fait nuit, le groupe monte sur scène, c’est plutôt sobre pour un groupe qui achève presque cette 30ème édition. Habillés de vêtements sombres et accompagnés d’une scénographie qui se refuse à trop d’artifices, ils commencent à jouer. Et on comprend tout de suite : quand le mélange est si intéressant et que les burnes sont aussi grandes, pourquoi chercher à compenser avec autre chose ? C’est émouvant et énervé en même temps. Les trois voix sont maîtrisés à la perfection et apposées à un Blues qui dérive souvent vers un Metal féroce. Les cordes et voix restent souvent assez harmonieuses, mais le batteur implique sa double pédale plus que de raison. GHOST m’avait scotché pour la même raison : le charisme d’un groupe qui innove à partir d’influences vintages. Les 3 chanteurs sont 3 opposés : le robuste blond détendu et souriant, un autre plus fluet qui semble possédé au point d’en exorciser ses démons dans les moments forts, et le leader, un afro-américain à la voix envoûtante qui est bien souvent celui qui mène la danse lorsque les deux autres peuvent être des choristes. Enfin, la bassiste fait également plaisir à voir, d’allure simple, sourire aux lèvres, elle s’investie dans ce live comme si c’était son dernier.
Il est difficile de comprendre le phénomène ZEAL & ARDOR juste en lisant des lignes, car s’ils ont choisi un décorum scénique très épuré, leur musique est complexe et clairement un événement à vivre en live !


Bilan : un triathlon gagné intégralement pour les 30 ans de l’athlète

En bilan de ces Eurockéennes, on peut aisément dire qu’il s’agit d’une des meilleures édition depuis bien longtemps ! Le démarrage sous une plue torrentielle n’aurait jamais eu raison d’un festival qui a mis les petits plats dans les grands pour fêter de la meilleure manière ses 30 bougies. Que ce soit la ré-organisation du camping, la programmation ayant permis des concerts de légende, NINE INCH NAILS et PROPHETS OF RAGE en tête, ou les bonus qui font que chaque année l’événement culte ne se ressemble jamais vraiment, chacun des 3 ingrédients a rendu le cru 2018 historique.
À mes yeux, le festival se hisse à nouveau parmi les meilleurs de France. Alors bravo les Eurockéennes, ton blase reprend tout son sens lorsque j’y reprend autant de plaisir !


(Review et photos réalisées par Ben)

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