CABARET VERT 2018
Charleville-Mézières le 23, 24, 25 et 26 août 2018
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Cabaret Vert


Je le sais, tu le sais, nous le savons, l’Europe est une une incroyable terre à festival. Que ce soient les machines de guerre comme le Sziget (Budapest, Hongrie) ou le Dour Festival (Dour, Belgique), les familiaux comme les Eurockéennes (Belfort) ou les Francofolies, ou ceux qui hument la ruralité comme la Guerre Du Son (Franche-Comté) ou le Open Air Meuh’Zik (Vosges), tout le monde peut y trouver son compte ! Parmi eux, il y a une branche assez singulière et peu répandue, je veux bien-sûr parler des pluridisciplinaires tels que le Togæther (Paris) et surtout le " plus petit des grands festival " qu’est le Cabaret Vert ! Cet événement situé dans les Ardennes s’est peu-à-peu transformé, passant de 2 jours de fête pour 10 000 spectateurs en 2005, à 4 jours pour 94 000 spectateurs en cette année 2018. Quelle belle progression en 14 éditions !


©A. Thome


©Fanny Husson Poisson

Mais le problème, c’est que pour ce cru, la programmation c’est pas vraiment ça. C’est pas qu’il y ait trop de Rap, même si je suis raciste envers les artichauts ; ni même que les preneurs de C et de D soient largement plus gâtées que les lions de sions. Non. C’est juste qu’avec une année particulièrement riche en têtes d’affiches sur la plupart des autres fronts estivaux, la direction artistique de l’association FLAP (qui organise le festival) a décidé de mettre les petits plats dans des tupperwares un peu petits pour nous gratifier des noms passables. Cette année, au menu TRAVIS SCOTT, AMELIE LENS, DAMSO, CHARLOTTE DE WITTE… Et même lorsqu’il s’agit du remplacement de BOOBA par la machine à racoler SHAKA PONK ou le switch de STEPHAN EICHER par FEU! CHATTERTON, on ne peut pas dire que ce soit particulièrement folichon. Et c’est là que le Cabaret Vert prend tout son sens : en dehors de cette sensation de proximité conférée par un environnement à taille humaine, il ne s’agit pas que de musique mais également de bande-dessinée, de cinéma, d’art et d’arts du spectacle. De quoi combler les moments creux de la plus agréable des manières lorsque le temps tendrait à se rallonger.


©Fanny Husson

Étape 1 : présentation et installation.
Déploiement de tentes, coups de maillets, installation des plus beaux tabourets pliants ! Pas de doute, c’est au bord de la Meuse que toute la partie " village " va se jouer, et si la prog’ laisse perplexe, le camping est plus blindé que jamais avec un nombre record de pyramides Quechua venant se chevaucher. La chance d’avoir des voisins détendus nous sourit et après avoir discuté quelques minutes, l’avis est unanime : le fameux " moi, de toute façon je viens pas pour la prog mais pour l’ambiance " semble être la règle générale. Peu importe, c’est l’heure du repérage. Nous sommes mercredi, et autour de nous on peut déjà voir des Belges tirer sur les gens au pistolet à eau en faisant semblant d’être énervés dans le but de leur offrir une bière juste après. Qui aime bien, trinque bien.


©A. Thome

D’autres, vêtus en Panthère Rose, licorne ou Pikachu (celui-là s’appelait Sacha) sont déjà à un stade avancé d’alcoolémie et de crasse. Quel est le secret de leur longévité ? En dehors de ça, le chapiteau warm up des années précédentes, véritable institution sur le camping le plus animé du festival nommé " Le Dormeur Du Val ", n’est plus. Cet endroit aussi mythique qu’illuminé où les gens se rassemblaient et devenaient hystériques sur du gros son, n’est plus. Cette source de rassemblement où nous étions tous ensemble, comme à la ligne de départ d’un marathon festif, n’est plus… En fait, cet endroit ou tables et jambes se cassaient à force de danser, a été remplacé par une petite zone accompagnée de buvettes et autre food truck. Certes, un ampli distille quelques standards tels que NOIR DESIR et MANAU, mais cela ne suffit pas à motiver la foule qui s’amasse pour consommer, plutôt que pour fêter. C’est donc nostalgique qu’on peut constater que ce genre de petit effort était un véritable apport en ambiance.


©Ben Auer

Mais voyons plutôt le verre à moitié plein : puisqu’il s’agit quand même de dormir à un moment, on peut se féliciter d’une ambiance générale plus sage, ceci permettant une décuve optimale. Ce n’est pas pour autant que les lieux sont morts, puisque certaines idées comme ce sound system ambulant diffusant de la musique de punks à chien a quand même permis de créer une horde de randonneurs semblables à une armée des zombies détectant un humain bien saignant. Sauf qu’il s’agissait de son de teuf. Aussi, comme une institution, l’association Pelpass demeure fidèle au poste, telle l’irréductible Gaulois : avec son impressionnant choix de jeux de société et de plein air, son staff au sourire constant et sa bonne humeur, cette team strasbourgeoise distille toute la journée de quoi s’occuper « autrement » que juste en picolant. Entre le badminton et autre championnat de passe-trappe permettant de gagner son poids en pâté, tu pourras jouer au Twister avec des inconnus, à l’ombre, ou pas, improviser un ping-pong sur table de camping, mettre mât aux échecs géants le premier qui t’auras mal regardé, etc… C’est the place to be pour se relaxer.


©A. Thome


©Mickael Tchakmakdjian


©Mickael Tchakmakdjian

Et pour aller toujours plus loin dans l’esprit bien-être, je me dois de mentionner un projet qui a fait parler de lui : " adopte un arbre ", une belle initiative entreprise par financement participatif. Le principe est que le contributeur « adopte » un arbre en lui permettant d’être planté sur une partie du camping qui était, apparemment, un verger. Le but est de reboiser toute une zone avec de petits arbres qui t’abriteront peut-être. L’étape de financement s’étant terminée avant le début du festival mais le reboisement se déroulant après sa clôture, le projet portera ses fruits pour les éditions futures ! Bien joué.


©A. Thome

Pour en terminer avec le camping animé du " Dormeur Du Val ", on y retrouve bien évidemment des casiers consignes payants à la journée ou au séjour (avec prises standards et connexions USB pour portable), mais également une borne de recharge de portables gratuite mais non sécurisée, des toilettes sèches et des douches dont pas mal de cabines vont être rapidement saccagées mais dont l’eau souvent largement tiède. Ces commodités se trouvent aussi sur une version plus camping calme du camping, celui " de la vieille Meuse ", qui lui, n’est pas à 5 minutes de l’entrée des scènes mais à un peu moins d’un quart d’heure. Là-bas, tu pourras y louer un kit de camping complet et te faire aider par la team Decathlon si t’es déjà aussez bourré en arrivant au point de pas savoir planter des piquets. Autrement, pour les plus exigeants en matière de confort et de quiétude, il y a possibilité de louer un tipi dans une zone de détente surveillée et autant dire que les habitants de ce petit village en parlent comme d’un luxe qui va beaucoup peser dans la manière d’appréhender le festival. Cela permettrait de plus se donner aux concerts car mieux reposé, dans des conditions largement plus cosy que Roger et son duvet calé entre deux trous de sardines.


©Mickael Tchakmakdjian

Enfin, la nouveauté de cette année, chose qui reste relativement obscure pour moi, c’est l’ouverture du " camping de la Bonne Aventure ". La légende raconte qu’il serait à plus de 30 minutes du festival et qu’on y trouverait des attractions de plein air comme de l’accro-branche, une piscine et d’autres animations. Il s’agit du camping permettant de décrocher de l’esprit festif du campeur lambda et d’alterner les ambiances ville / jeux / festival. Le camping peace & play, quoi… Quoi qu’il en soit, que ce soit l’un comme l’autre, les 3 sont à dimension humaine et donnent cette impression de petit bourg où l’attitude relaxe est le mot d’ordre.
Pour conclure sur la chose qui pourrait fâcher, parlons du prix : 15,00€ / camping, peu importe le nombre de journées qu’on y passe, ça peut un peu refroidir. Je trouve dommage que de payer l’accès à un camping ne donne pas le droit de découvrir les autres. Mais il me semble qu’entre proposer un ticket bien plus cher comprenant d’office un camping sur lequel on se rend, ou non, me semble moins logique que de payer un supplément par rapport à un billet abordable parce que de toute façon on plantera sa tente au camping au moins une nuit. Sans oublier qu’à ma connaissance, il s’agit du camping le plus à la pointe en matière de bénévoles circulant pour nettoyer ses propres cochonneries, tout en restant très pédagogues même lorsqu’épuisés. Un grand merci à eux, au passage ! Et puisqu’il faut laisser à la team de nettoyage le temps de tout remettre en ordre pour mieux salir, parlons musique.


©collectif Darkroom

Étape 2 : confirmations.
Cette année, le Cabaret Vert correspond plus à la promesse de découvertes de talents récents plutôt que de têtes d’affiches légendaires et alléchantes. On entend beaucoup de " je suis pas fan de NTM mais j’irai voir quand même ! " ou " Stephan Eicher , je connais pas plus que ça, mais c’est mon enfance ! ". Alors n’attendons pas ces têtes d’affiches et allons voir ce dont sont capables les noms moins réputés.
En ce jeudi d’ouverture, si on peut déjà retenir le Rock Punk décharné et métallique des très jeunes SWMRS ; le trio torturé de Noise Punk METZ, qui n’hésitera pas à jouer vraiment fort des morceaux plutôt violents ; un DARIUS aux mélodies aussi enveloppantes que sa scénographie en nappes de lumière pour un live cotonneux ; on se souviendra surtout d’un DJ SNAKE qui, à l’inverse de DARIUS, utilisera des moyens pharaoniques en matière de fumigènes, lumières, machines à fumée, pour assouvir sa soif de show. C’est brûlant, ça tape à coup de Dubstep brutal et autres samples d’alarmes. Et évidemment, on ne coupera pas à « Lean On » qui emportera la foule d’une seule voix. On saluera encore les agréables prestations de DILLON FRANCIS avec son mix de hits à la sauce tantôt Latino, tantôt Trap, oscillant entre grosse ambiance et atmosphère plus sombre ; de l’hypnotique AMELIE LENS et sa Techno un poil répétitive, ou les rafraichissants PARCELS qui vont énormément rappeler FOSTER THE PEOPLE, MGMT en moins psychédélique mais largement plus Funk. C’est terriblement groove et funky, c’est doux, mais c’est le premier concert qui installe une réelle ambiance !
Mais ce qui marquera réellement cette journée, c’est DEMOB HAPPY qui va se produire sur la scène la plus petite du festival : la scène Razorback qui se trouve dans l’espace Groin Groin, véritable paradis de la bière puisque tout spécialement dédié à cet or mousseux. Ce périmètre est aussi intimiste qu’insolite, avec sa décoration à la Mad Max.


©Fabrice Varenne


©Fabrice Varenne

Et ce soir, le premier groupe que je peux y voir c’est ce quatuor originaire de Newcastle, un brin Pysché, mais surtout empreint d’un Rock des 70’s / 80’s à la sauce Punk. C’est impulsif, dissonant mais quasi hypnotique. Le par-terre de filous venu les voir est largement clairsemé, ce qui n’empêche pas à chacun de prendre son pied, pogoter à en renverser sa bière ou encore faire le trick global de SALUT C’EST COOL où chacun reste stable tant que la ronde de limbo en équilibre sur les autres ne s’effrite pas. C’est une véritable décharge d’énergie, le groupe est terriblement heureux d’être sur la plus petite scène du festival et l’ambiance est aussi potache que bon enfant.


©Joffrey Barsby

La deuxième perle de cette soirée, c’est l’enfant terrible du Hip-Hop US : TRAVI$ SCOTT. J’avoue avoir été un peu dépassé par ces centaines de noms Rap qui voient le jour et percent comme champignons sous la pluie. Donc en dehors de " Goosebumps ", c’est un peu au hasard que je vais le voir. Et autant dire que pour un profane, je ne suis pas déçu. Il occupe la grande scène Zanzibar comme s’il était une armée et semble se multiplier tant il profite de l’espace. Musicalement, c’est rien de dingue même si c’est pas si mal : c’est encore un mec vocodé qui surfe sur des instrus Trap ou Hip-Hop bien lourds. Mais c’est surtout qu’après le passage de DJ SNAKE, il fallait le juste milieu entre artifices scéniques corrects et cohérence avec l’artiste, et M. SCOTT y est parvenu.


©C. Caron

Des flammes de plusieurs mètres de haut, de la fumée, des univers lumineux uniformes nous baignant dans un concert presque irréel, tout est là. Ce qui me convainc, en fait, ce n’est pas un très bon Hip-Hop qui suit la logique et les codes de la mode, et qu’on peut retrouver chez LAMAR par exemple, c’est plutôt cette proximité naturelle avec son auditoire. Ça reste carré, mais le mec est libre et la scène est son terrain de jeu. Il demandera à son public de participer, lui posera des questions, et ne cessera pas d’interagir avec. Nous sommes à l’opposé d’un live aux morceaux qui ne font que s’enchaîner. Son attitude Rock’N’Roll avec de bons morceaux de Hip-Hop, c’est un excellent mélange qui tempère avec le côté " coincé ", trop calibré des groupes de Rock actuels qu’on peut d’ailleurs voir sur ce festival. Ce mec et son côté quasi animal, si vivant ! Il est la différence entre les artistes ayant juste très bien préparés leur show, et les artistes qui l’ont fait, mais qui ont besoin du contact avec le public. Et en plus, il a incorporé " Goosebumps " dans sa setlist. En gros, TRAVIS SCOTT : convaincu !


©C. Caron

Mais tout n’était pas optimal puisqu’il y a eu la déception NOTHING BUT THIEVES placée en haut du podium, avec un Rock complet et agressif, mais un chant qui sonne souvent faux, pas tout-à-fait au point et qui va surtout aplanir une texture musicale dynamique de bien trop de lyrisme. Ça me semble être du gâchis et un manque de recul face à des compositions qui pourraient être vraiment bonnes sans un frontman hors de propos. Matthew Bellamy sur du SLIPKNOT, ça pourrait être marrant, mais pas certain que ça marche.

Concernant le vendredi, ne parlons que des choses qui réjouissent, et commençons par DRAGONFORCE. Il s’agit de la bande son parfaite pour boire des bières de manière épique. Leur passage sur Guitar Hero permet de comprendre le phénomène dans son intégralité : du Heavy décomplexé, des prouesses guitaristiques et une voix haute perchée. Le show est simple, les mecs sont concentrés car tiennent à ne pas se planter tandis que leurs compositions sont techniques. Leurs visages si souvent crispés et leur obligation de rester sur place pour avoir une bonne prise avec leur instrument témoignent de la difficulté de réaliser certains passages. Je ne trouve pas mon compte avec ce Metal vintage, mais je dois avouer que de voir un groupe qui compose des morceaux de cette trempe sans se prendre pour des légendes mais au contraire, en conservant le décalage nécessaire pour ne pas être juste une bande de performeurs beaufs, ça fait plaisir ! Les notes défilent, la voix perfore les aigües, le batteur force sur ses fûts, c’est mission accomplie, ils m’ont bien fait marrer et je suis resté un long moment.

©A. Thome


©A. Thome

Place au meilleur concert de cette édition 2018 avec SVINKELS. Puisqu’il s’agit du festival des reformations, parlons des empereurs du Slip-Hop qu’est ce trio composé de Gérard Baste, Nikus Pokus, Xanax mais surtout le grand, l’incroyable, l’immense DJ PONE, de retour aux platines après une absence liée à son investissement dans des projets qu’on connait tous. Et c’est incroyable comme la force potache du groupe n’a d’égale que la taille du bidon de Baste. Ça enchaîne les blagues graveleuses, les anecdotes sur les Ardennes et sur leur première venue au festival, les jeux de mots aussi foireux que bien trouvés. Comme s’ils ne s’étaient jamais arrêtés, on retrouve un Nikus à barbe grisonnante discret mais sévèrement présent, un Xanax patibulaire, et le Prince de la Vigne qui ne cesse de taquiner la foule. Évidemment, le set commence par " Ça Recommence ", de quoi chauffer à blanc la bonne bande de " Krevards " que nous sommes. Puis, comme une sorte de best of testostéroné, ce sont des morceaux remaniées en versions Rock, dont les instrumentales sont largements pimentées grâce à DJ PONE.


©C. Caron

On reçoit en pleine face " Hard Amat’ ", " Dizy Qu’il Est Fini ", " Le Svink C’Est Chic ", " Cereal Killer " mais surtout " La Youte " qui demeure un moment anthologique de ce Cabaret Vert où la foule scandait le même refrain, le même objectif en tête : SE LA FOUTRE ! D’ailleurs, elle est largement plus violente qu’à n’importe quel concert précédent, tout en restant bienveillante. Les trois gaillards savent comment rendre une bande de soiffards réceptifs et on le constate : on ressent le Svink’, on participe, on joue, et ne se contente pas juste d’écouter avec plaisir. Ça bouillonne, tout le monde fête, et le praticable est sans cesse foulé avec hargne par le trio aux dégaines vieillies par le temps mais toujours fringué comme si on était à l’âge d’or du skate. Au final, quelques slams et une photo prise par le groupe plus tard, on se retrouve déjà à la fin d’un set sans faille qui démontre 2 choses : que SVINKELS, c’est toujours des patrons, mais aussi que le public présent, globalement plus jeune que leur noyau de fans originel, kiffe tout autant ce groupe. Le square Bayard était en état de siège festif l’espace de 45 minutes, et ça a plus unanimement. Et si le Svink, c’est chic, il est évident qu’ils ont une mission d’intérêt publique à accomplir : revenir en force avec un album qui tue et des dates partout.


©C. Caron


Ceci étant fait, retour à la scène Razorback avec une très bonne surprise de cette année : les Blues’N’Rock’Rolla de DIRTY WOLFGANG. Prenez du Rock old school, du PANTERA, du THE TEXAS CHAINSAW DUST LOVERS, mettez-y une pincée de chant qui se rapproche de celui de Robb Flynn lorsque gueulé, mélangez le tout, et voilà ce qu’on pouvait retrouver en ce début de soirée. Si les compositions sont bonnes, il en transpire une sorte de côté éculé, déjà entendu qui m’empêche de rentrer totalement dedans. Les influences sont bien assimilées mais recrachées presque sans valeur ajoutée. Cela ne veut pas dire que le jeune groupe n’assure pas, au contraire, et le gros Speed Rock à l’américaine du power trio comporte son lot de passages bien bourrins qui permettent de bouger son boule comme il se doit.


©C. Caron


Le temps de découvrir un peu tous les stands du festival et ça y est, on y arrive, à LA tête d’affiche : le SUPRÊME NTM venu péter ses 30 ans avec nous ! Pas fan du groupe, et encore moins de la trajectoire discutable qu’a pris Joey Starr à s’afficher dans la Nouvelle Star et dans une téléréalité où on le voit boire du rhum, je sais que l’occasion n’est pourtant pas à bouder. Tout simplement parce que prix de la place pour voir les deux lascars est proche d’un SMIC. Les trois immenses lettres emblématiques du groupe apparaissent sur la scène Zanzibar, derrière des crépitements lumineux digne d’immenses feux de Bengal. L’introduction sonne hardcore mais les deux protagonistes n’apparaissent que lorsque " On Est Encore Là " intervient. Kool Shen et Joey Starr sont en grande forme, jouant ensemble comme s’ils ne s’étaient pas quittés, pas chamaillés, jamais arrêtés. On les retrouve accompagnés de DJ S et de DJ PONE disposés sur des plateformes surélevées de part et d’autre de la scène.


©Florent Mayolet

Le charisme des deux bonhommes et leur manière d’aborder le live n’a rien des recettes contemporaines mais ça n’a pourtant pas vieilli. C’est ce paradoxe qui fait d’NTM, NTM. Tout y est témoin de leurs années de créativité : les instrus cultes, les paroles brûlantes et pourtant naïves, l’attitude, et surtout, les voix de deux mecs qui sont encore en mesure de nous gratifier des mêmes performances qu’il y a 20 ans. Je ne connais aucune parole, ayant toujours été rebuté par certaines simplicités d’écriture, mais il faut avouer qu’elles fédèrent et cadrent parfaitement avec des morceaux qu’on est obligé de connaître par ailleurs. Une telle énergie, alors que les mecs sont quinquagénaires ! On se sent faire partie d’une famille, d’un moment porte-parole d’une époque où le rapport au Hip-Hop était inversé par rapport à aujourd’hui. Rappelez-vous comme NTM était le MARILYN MANSON Rap des 90’s sur les radios françaises et comme DOC GYNECO défrayait la chronique avec " Vanessa ".
Aujourd’hui, SUPRÊME NTM, c’est un des groupes qui inspire la nostalgie, loin des clichés Trap, de la lean, de cette glorification toujours plus outrancière de la femme objet et de la suprématie par la maille et la drogue. Et c’est ce qui fait que ce live est encore plus frais que la simple intervention de deux grands showmen. On a eu droit à tous leurs grands hymnes avec, dans le désordre " Pass Pass Le Oinj ", " Pose Ton Gun ", " Popopop ", " Seine-Saint-Denis Style ", " Laisse Pas Traîner Ton Fils " ou " Ma Benz " sur lequel LORD KOSSITY en personne est venu poser sa voix. D’autres invités tels que NATHY sont intervenus sur des morceaux que je ne connais pas.
Bref, l’esprit Rap old school à base de chansons des années ’90, de jumps, de bras en l’air, et j’en passe, ça fait bonne franquette et c’est carrément bienvenu, parfaitement calé entre ces artistes trop concentrés sur la précision de leur live pour que l’instauration d’une ambiance emportant le public s’opère vraiment. Aujourd’hui, SUPRÊME NTM, c’est encore un grand groupe de Rap qui fait le boulot. Et sans parler de concert mythique, le fait que Joey Starr arrive à m’impliquer dans son œuvre alors que le personnage m’agace, c’est que l’artiste a un talent qu’il devrait d’avantage mettre à profit, plutôt que de s’attaquer à des gamins reprenant du CHRISTOPHE MAÉ.


©Florent Mayolet

Finissons la journée en douceur avec FELIX DA HOUSECAT, le DJ qui vient rafraichir la température sur la scène cosy du Green Floor dédiée à la musique Électronique et à la Techno. Assez classique, le mec est bon, sa House fait danser avec finesse, sans chercher le drop, les grosses montées ou les medleys. Contre toute attente, et malgré une pluie peu insistante, un vendredi dont je n’attendais pas grand chose s’est avéré comme une grosse journée où peux de temps morts sont à déclarer tant les découvertes et poids lourds du Rap Français se sont avérés efficaces.

Place au samedi, ouvert par les excellents BLONDSTONE. Détonnant, fuzzé et sombre, le trio ne s’encombre pas de fioritures. Les auteurs de « Mass Solace » tapent fort et remplissent la lourde tâche d’ouvrir en milieu d’après-midi, tandis qu’une grande partie du public est en train d’économiser son énergie sur le camping pour les concerts d’un peu plus tard. Le batteur s’acharne, le son Stoner est impeccable, la voix claire et douce tempère avec ce Rock désertique si écrasant. Si la prestation est épurée, l’énergie dégagée est colossale et la texture sonore ronde et imposante vient ravir la panoplie d’effets habillant les lignes guitare / basse. Dans les moments calmes, j’ai l’impression d’entendre une version Stoner de la BO d’un James Bond sous acide. Les Nancéiens ne devraient pas tarder à être plus connus avec une telle aisance scénique.


©Clément Hadouin


Dans un tout autre genre mais toujours provenant de Nancy, il est temps d’aller voir le phénomène ARNAUD REBOTINI, ce quasi-quinquagénaire fraichement césarisé pour la bande originale de " 120 Battements par Minutes ". Et très franchement, je ne m’attendais pas à ça. Le show est réel, l’homme mix, certes, mais il vient chanter et envelopper ses morceaux de nappes de synthés aussi inquiétantes qu’obsédantes. Les compositions sont modernes, mais les sons qui les composent sont vintages et on est envoûtés sur des morceaux aussi entraînants que malsains. Cette fois-ci, on pourrait presque parler de bande originale de film érotico-gore, d’horreur avec un bon fond bondage. Et la voix qu’il pose, de manière autoritaire, avec sa dégaine de tueur à gage italien donne un aspect surnaturel à ce live ayant pourtant lieu en plein jour. C’est amusant comme l’homme n’a pas la dégaine de la musique qu’il produit. Il reste que bien des DJ sont venus mixer sur cette scène, mais ARNAUD REBOTINI, avec très peux de moyens scéniques, soit quelques lights, fait partie de ceux qui tirent leur épingle du jeu.


©Joffrey Barsby


Et si de son côté, VLADIMIR CAUCHEMAR nous a également gratifié d’un bon DJ set, je pensais voir un ovni 2nd degré, et non un simple mec qui mix affublé d’un masque de squelette. Ce live sympa n’a rien d’original, même si l’homme masqué a bien fait le travail.
Espérons que PHOENIX soit plus surprenant. Et en fait, non. C’est incroyablement ennuyeux et aucun passage ne vient relever le plat ambiant qui vient s’emparer de la scène Zanzibar. Ce groupe ne dégage rien. Heureusement que la légende de Chicago, DERRICK CARTER, ré-ambiance le Green Floor où je me retrouve propulsé presque automatiquement. C’est encore de la Techno House, mais fraîche et super mélodique avec une grosse odeur d’années ’90. C’est agréable, pas agressif pour un sou mais un peu commun.


©Joffrey Barsby

©Joffrey Barsby


L’idéal pour se ressourcer avant d’aller voir les remplaçants de BOOBA : SHAKA PONK. Alors, comment dire ? Dès les premières secondes, le show est ultra léché, et les moyens déployés pour, font partie des plus importants du festival. Tout est très travaillé. Tout est TROP travaillé. Les gars, vous êtes étiquetés Rock ? Alors, chorégraphier un live de Pop Rock, c’est pas si grave. Le problème c’est que la spontanéité est morte dans un bain de paramètres faisant de chaque morceau un minutage où se passent à des moments précis, des événements précis. Et en dehors du fait que l’attitude du groupe ne soit pas taillée pour un cœur de cible Rock mais plus pour un public d’enfants ou de variété, je ne suis pas venu voir un film qui se répète trait pour trait chaque soir. J’ai fais l’effort de m’y intéresser à l’époque de l’engouement général, c’est-à-dire peu après leur bon album " Bad Porn Movie Trax ", mais ils ne le jouent plus. Certes, un écran géant qui diffuse des singes en 3D, et c’est bien, en particulier lorsqu’il y a un jeu cohérent avec les lumières et la musique. Les beaux costumes, le beau décor, c’est amusant, aussi. Mais en fait, leur identité est vérolée depuis la première fois que je les ai vus en 2010, et à chaque fois depuis. Tel un parc d’attraction accessible aux enfants, j’y emmènerais bien mon fils ou ma fille mais en tant qu’amateur de Rock, de live où la spontanéité a sa place, j’en ai un peu ras-le-bol que ce genre de nom, innovant à l’époque, se repose sur des sorties de disques pour nous donner un show calibré comme à l’usine. Le Rock et la spontanéité, voilà deux choses que je n’ai pas pu effleurer pendant ce spectacle. Et je persiste à croire qu’il n’est pas donné à n’importe qui de reprendre du NIRVANA. Quel massacre… En conclusion, ce groupe est maintenant fait pour les Zénith parce que brassant un public allant de l’enfant en bas âge jusqu’à ses grands-parents, le concept hyper ludique à l’époque peu connu ayant pris la logique voie de la distraction de masse. Malheureusement, à mes yeux, il n’y a pas d’évolution en terme d’identité ni de vision live depuis bien des années. Et rien que ça, ça aurait changé la donne par rapport aux 4 - 5 fois où je les ai vus auparavant.


©A. Thome


Ce n’est pas grave, il reste le dimanche " ré-organisé " pour s’en remettre. Ré-organisé parce que STEPHAN EICHER a été remplacé par FEU! CHATTERTON, par souci de santé. Et il faut bien l’avouer, cette dernière journée est dédiée aux têtes d’affiches qu’on n’a pas pu regrouper par affinité avec d’autres groupes. Commençons par le Reggæ Roots de GROUNDATION qui est du… Reggæ dont la plupart des membres sont blancs et jeunes. Le chanteur, avec sa grosse barbe, ses lunettes et son bonnet reprend à merveille les codes originels de la Jamaïque, si bien que jusqu’à ce live, j’avais le cliché du rasta noir comme leader du groupe. L’effet NAÂMAN : " ah mais c’est un blanc qui a cette voix ??? ". Bref, c’est bien fait, mais sans apport par rapport aux 1,000,000 autres groupes de Reggæ Roots déjà en route vers Zion. Poursuivons dans les inclassables avec LES NÉGRESSES VERTES que l’on connait tous pour " Voilà L’Été " ou " Sous Le Soleil De Bodega ". Les morceaux de Gypsy Folk méditerranéens s’enchainent et c’est agréable de voir un groupe dont on connait les standards se donner autant. Grosse section cuivre, prodiges de la guitare folk, sourires aux lèvres, ce moment est simple et attrayant. Mais ce dimanche, où les enfants composent la foule bien plus que d’habitude, est clairement destiné aux familles qui veulent profiter des derniers jours de vacances, plus qu’à marquer de moments live inoubliables cette édition du festival. Ce petit temps me servira à rester tranquille pour (re)visiter les lieux alternatifs aux scènes et dépenser mes derniers bayards.


©A. Thome

Aussi parce que je ne parviens pas à rester devant FEU! CHATTERTON que je ne connaissais que de nom, leur lyrisme ne m’intéressant pas. Il est donc temps de tirer sa révérence au square Bayard, un peu décontenancé par cette dernière journée quelque peu anecdotique qui n’achève pas l’événement en apothéose.

Étape 3 : compensations.
Les trous dans l’emploi du temps musical ont donc du bon puisqu’ils permettent de profiter des bonus prévus sur le festival, sans avoir à faire de choix cornéliens :
- l’Idéal Cinéma est l’endroit parfait pour se reposer en se détendant devant l’un des nombreux film ou clip projeté. Mais il est interdit de s’y endormir pour ne pas piquer la place à quelqu’un qui souhaiterait réellement profiter des projections. Ce singulier espace intimiste implique que l’on prenne un casque dans un sas d’entrée, que l’on peut basculer sur l’une des deux fréquences correspondante à l’un ou l’autre des écrans disposés dos à dos dans la salle suivante. Chaque écran dispose de ses propres programmes, qu’il s’agisse de clips musicaux des artistes présents cette année, de courts et longs-métrages ou de documentaires traitant de sujets aussi divers que variés. L’idée, en dehors de permettre aux spectateurs de découvrir la programmation pour s’aiguiller un peu, est de permettre de découvrir des films assez rares qu’il serait difficile de dénicher autrement, même sur le Net. Ce lieu chaleureux est un piège car avec ses moelleux fatboys, il incite à rester et à louper tel ou tel nom au dehors ;


©Clément Hardouin


©Joffrey Barsby


- L’Espace BD, qui prend vie sous un chapiteau, dans un premier temps, n’ouvre que les samedi et dimanche. Il s’y trouve diverses expositions, des ateliers, notamment pour apprendre à réaliser un scénario, des jeux de société ayant un lien avec la BD, des espaces dessin pour les enfants et même des performances dessinées ! Mais le plus important demeure cette incroyable succession d’auteurs, scénaristes, dessinateurs, coloristes, et j’en passe, qui n’hésitent pas à se mêler au public où à dédicacer leurs exemplaires également disponibles sur place. Mais la grande nouveauté de cette édition, c’est qu’il est adjoint à un grand espace terrasse au look des années 1950 où des bandes-dessinées sont en libre service, et où un marché d’occasion permet de s’en procurer pour repartir avec. Et il est même possible de s’y restaurer ;


©Fanny Husson Poisson


©Fabrice Varenne


©Fanny Husson Poisson


©Fabrice Varenne


- En véritable extension du festival, sous ses allures steampunk / industriel, il était impératif de visiter le jardin du Temps Des Freaks. Ce grand espace coupé du reste du festival abritait autant de spectacles vivants que d’attractions foraines et autres démonstrations d’arts du cirque. Pour tous publics, il ne s’agit pas forcément de ce à quoi sont habitués les enfants cependant. Je pense notamment aux installations métalliques, sortes de petites attractions : une cage où il faut piloter une main pour accéder un bouton permettant à un appendice de cracher du feu ; une passerelle se déformant sous nos pas et nous faisant rapprocher une sorte de tête de serpent d’acier du visage. Mais on ne s’arrête pas là, puisque dans le fond du jardin, on retrouve une performance artistique dans un décor assez farfelu, où une troupe de comédiens occupe des lieux absurdes et dérangeants, comme une cage à humain avec une folle qui y décroche des objets, une minuscule maisonnée de bois à taille humaine dans laquelle on a découpé une multitude de trous qui servent à ce qu’on y passe l’œil pour voir la mère, ou la nourrice d’une poupée. Elle va tenter de lui donner le thé, d’interagir avec elle et ses comparses imaginaires ainsi qu’avec les spectateurs. Une autre encore, fera plus fermière savante folle que mère dérangée. Entre ses étagères en bois crasseux, on y verra des bocaux aux contenus douteux, des étranges outils suspendus et autres objets insolites. Pas de doute, on est bien chez les Freaks, et c’est carrément bien fait ;


©Fanny Husson Poisson


©Fanny Husson Poisson


©Fanny Husson Poisson


- Le dernier endroit alternatif est l’Idéal, lieu de découverte, d’échange et de conférences, dont les principales thématiques sont liées au développement durable et à l’écologie.


©Clément Hardouin


©A. Thome


Étape 4 : conclusion.
Au final, on est d’accord qu’il ne s’agit pas de la meilleure année pour l’événement incontournable des Ardennes qui a eu beaucoup de mal à fédérer musicalement. Pourtant, c’est pas moins de 94 000 qui ont foulé le square Bayard pour faire vivre un festival parvenant encore à conserver une dimension humaine. Et il ne faut pas oublier qu’avant tout, entre deux bières et un concert, il s’agit de rencontres, de prendre le temps de le perdre avec des inconnus qui deviennent, le temps d’un long weekend, des copains de jeu, des potes de beuverie où juste des partenaires de beaux moments éphémères.
Ajoutez-y à ça une flopée d’activités alternatives en tous genres et pour tous publics et il serait mensonger de prétendre s’ennuyer en ces lieux. Donc, si terminer l’été de la sorte n’était pas inoubliable concernant des prestations musicales trop inégales d’intensité et de pertinence, ces dernières étaient largement compensées par une multitude d’expositions, de spectacles et de bonus qui font du Cabaret Vert ce festival si unique. Donc quoi qu’il en soit, il conserve sa place de festival incontournable !
À l’année prochaine.


©Mickael Tchakmakdjian



(Review réalisée par Ben)

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